«Les manifestations violentes de ces derniers mois nous ont obligés à évoluer. Désormais, nous allons au contact.»
Grégory Joron, responsable CRS pour le syndicat Unité-SGP-Police, prévient les casseurs. Comme il l'a confié à nos confrères du Parisien, les forces de l'ordre ne pouvaient plus «rester figées et regarder passer les trains». Cette nouvelle doctrine du maintien de l'ordre ira de pair avec des équipages de la brigade anticriminalité (BAC) à moto. Les violences urbaines qui ont émaillé à plusieurs reprises les manifestations des Gilets jaunes ont soulevé de nombreuses critiques, notamment sur le manque de réactivité des forces de l'ordre. Ces scènes de guérilla urbaine qui ont notamment vu l'incendie du Fouquet's et le saccage de plusieurs commerces ont coûté son poste au désormais ex-préfet de Paris Michel Delpuech.
Alors que les fameux black blocs, ces casseurs tout de noir vêtus, ont promis de faire de Paris «la capitale de l'émeute» le 1er mai, «au moins 3.000 CRS et Gendarmes mobiles seront déployés dans Paris», selon BFMTV. Didier Lallement, nouveau préfet de la capitale, compte bien agir avec fermeté. Mais à quel prix? Manifestants et street medics dénoncent déjà un climat de «guerre» et des blessés qui se multiplient. Axel Ronde, secrétaire général du syndicat de police Vigi Île-de-France a livré à Sputnik France son analyse sur ce nouveau dispositif. Entretien.
Sputnik France: «Les manifestations violentes de ces derniers mois nous ont obligés à évoluer. Désormais, nous allons au contact », explique Grégory Joron, responsable CRS pour le syndicat Unité-SGP-Police, au Parisien. Comment jugez-vous ce changement de doctrine au niveau du maintien de l'ordre?
Axel Ronde: «Il a fallu s'adapter aux diverses exactions commises sur le terrain. Nous avons été obligés de nous réorganiser. Il était impensable de laisser les rassemblements dégénérer avec des ultras qui cassent tout sur leur passage. Les gens commençaient à nous demander des comptes. Il a fallu redynamiser le dispositif avec l'emploi des nouveaux moyens dont les brigades de répression de l'action violente motorisées. Elles se déplacent au plus près des exactions commises et ont la possibilité de tout de suite y mettre un terme. Elles évitent que les blocs de casseurs se concentrent sur une zone. Elles peuvent intervenir au moment de la construction de ces blocs et ainsi empêcher les exactions avant d'interpeller.»
Sputnik France: Alexandre Langlois, secrétaire général de votre syndicat, a cité à plusieurs reprises le modèle allemand de «désescalade» lors des premiers rassemblements des Gilets jaunes. Grégory Joron a quant à lui dit, toujours à nos confrères du Parisien, que ce modèle avait montré ses limites, citant notamment l'exemple de l'inauguration du siège de la Banque centrale européenne à Francfort en 2015 où les policiers allemands «avaient dû complètement abandonner le terrain». Que-lui répondez-vous?
Axel Ronde: «Effectivement la "désescalade" est une bonne chose en fin de cortège dans des manifestations dites classiques ou émaillées de petits débordements avec des difficultés à disperser la foule. Dans ce cas, il est toujours possible de faire preuve de pédagogie. Mais lorsque vous êtes face à des individus motivés et animés d'une haine féroce de la police, ce type de maintien de l'ordre ne peut pas fonctionner. Les ultras sont là uniquement pour en découdre, piller, casser, brûler et détruire le mobilier urbain. La doctrine de "désescalade" fonctionne bien en Allemagne lorsque nos homologues ont affaire à des rassemblements relativement pacifistes. Mais quand c'est nécessaire, ils utilisent également la force et peuvent se retrouver en difficulté que ce soit à Francfort ou lors de la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2017 qui a vu de nombreuses agressions sexuelles se produire dans plusieurs villes allemandes. Le 1er mai, il faudra adapter le dispositif en permanence comme le souhaite le nouveau préfet de police de Paris. Il faut laisser aux chefs d'unités qui sont sur place la possibilité de prendre des initiatives et interpeller les fauteurs de troubles avant qu'ils ne puissent se déployer. Un commandement décentralisé permet une réactivité par rapport à des individus très organisés.»
Sputnik France: Marc, coordinateur d'une équipe de street médic a confié son inquiétude vis-à-vis de ce dispositif au Parisien. «Lors de l'acte 23, il y a deux semaines, près de 152 blessés ont été comptabilisés, dont une dizaine de journalistes», a-t-il affirmé. Peut-on s'attendre à un grand nombre de blessés demain? Comment les éviter?
Axel Ronde: «Il faut que les manifestants pacifiques se dissocient immédiatement des casseurs. Parfois, ces individus sont accueillis dans les cortèges et jouissent d'une certaine impunité. Il faut, par exemple, que le service d'ordre des syndicats les empêche de pénétrer dans le cortège. Sinon cela rend difficile leurs interpellations et peut provoquer des dommages collatéraux. J'en appelle à la responsabilité de tous. Il faut se désolidariser de ces éléments qui ne sont là que pour donner cours à leur violence et créer le chaos. Tout ce qui est Gilet jaune, ils n'en ont absolument rien à faire. Cela fait des années qu'ils perturbent les manifestations. Ils sont actuellement galvanisés par certains ultras. Malheureusement, cela provoque des incidents et des blessures de part et d'autre. Ce n'est plus possible. Les instructions du préfet Didier Lallement sont claires. Maintenant, on ira au contact.»
Sputnik France: Vous dénoncez depuis plusieurs mois la grande fatigue de vos collègues touchés par une terrible vague de suicide. Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a annoncé sa volonté de mettre en place une cellule afin de lutter contre ces suicides. Comment jugez-vous cette initiative?
Axel Ronde: «Il y a une prise de conscience, pour une fois. Elle va jusqu'au ministre de l'Intérieur. Les autorités reconnaissent dorénavant que c'est le métier en lui-même qui peut poser problème, ce que nous disons depuis des années. Ils ne font la politique de l'autruche. Ils regardent enfin la réalité en face. Monsieur Eric Morvan, directeur général de la police nationale, a écrit directement aux policiers et a concédé qu'il existait un mal-être. C'est inédit. De même que le fait qu'un ministre de l'Intérieur s'empare du sujet. Nous y croyons et espérons que d'autres choses seront mises en place. Le renforcement de cette ligne d'urgence représente une première étape. La prochaine devrait être le recrutement de psychologues qui sont trop peu nombreux par rapport aux policiers.»
Sputnik France: Nous sommes 51 ans après Mai 68. Les annonces d'Emmanuel Macron peinent à convaincre, avec une majorité de Français déçue… À quoi peut-on s'attendre pour ce mois de mai 2019, avec le retour des beaux jours. Craignez-vous un printemps insurrectionnel?
Axel Ronde: «Malheureusement, les situations insurrectionnelles nous les avons déjà connues ces derniers mois. Je pense notamment à des manifestations qui ont dérapé en décembre et en mars. Il s'agit de poussées de violences comme la France n'en avaient pas vu depuis longtemps. Peut-être avant Mai 68. Difficile de savoir à quoi s'attendre le 1er mai. Cela dépendra de l'organisation de ces manifestations. Nous espérons qu'elles se dérouleront dans une ambiance festive. Je rappelle que le 1er mai est censé être une fête.»