Les élections européennes se tiendront dans un mois, le 26 mai. Ces élections se déroulent en fait sur des enjeux nationaux, preuve que le «peuple» européen est une fiction et la «souveraineté européenne», un non-sens. Ces élections sont un moment important dans la politique française parce qu'elles sont l'occasion de vérifier les convictions (affichées ou discrètes) de chacun sur l'UE, de regarder de plus près la politique du gouvernement vis-à-vis de cette même l'UE et de tirer le bilan des choix de stratégie.
Une erreur de perspectives
En ce qui concerne la politique du gouvernement français, il est clair que nous sommes dans une impasse totale. À son élection, Emmanuel Macron s'était fixé comme but de renouveler le fonctionnement de l'UE dans un sens plus fédéraliste, en s'appuyant sur l'une des recettes les plus éculées: le couple franco-allemand. Il comptait aussi réaliser une opération de pure politique politicienne en plaçant la liste qu'il soutient en opposition à ceux qu'il qualifiait de «nationalistes». Il s'agissait pour lui de rejouer la partition qui l'avait si bien servie en 2017, celle de l'opposition d'un prétendu «progressisme» contre les forces du camp supposé du «nationalisme». Pour cela, il était prêt à accélérer la mise en conformité de l'économie française aux règles de l'UE.
Cette attitude peut se comprendre. L'Allemagne a laissé planer l'ambiguïté sur la relation avec la France dans les années 1970 à 1.990, quand elle savait que, pour elle, il n'y avait pas de place pour l'expression ouverte de ses intérêts. La classe politique française a pu alors se gargariser d'un prétendu partage des tâches, la politique à la France, l'économie à l'Allemagne. Mais, une fois que l'Allemagne eut enchaîné l'économie française par le biais de l'euro avec, il convient de le dire, les cris de joie d'une large partie de la classe politique française, elle a pu développer progressivement une vision de plus en plus affirmée de ses intérêts politiques.
Emmanuel Macron a alors découvert une évidence: l'Allemagne poursuit ses intérêts et ses desseins stratégiques. Si la France veut s'y plier, tant mieux. Si elle ne le veut pas, tant pis. Mais le message envoyé depuis ces dernières semaines, voire ces derniers mois, est très clair: l'Allemagne n'entend pas soumettre sa souveraineté retrouvée à une quelconque tutelle de la part d'un «couple» franco-allemand, dont elle récuse jusqu'à l'existence. Les grandes décisions ont toujours été prises par Berlin, quitte à être expliquées, de manière plus ou moins fine, aux partenaires de l'UE.
L'effondrement d'une politique
La politique d'Emmanuel Macron vis-à-vis de l'Allemagne et de l'UE s'est aujourd'hui effondrée. Macron a sacrifié les possibilités de construire des alliances avec des pays ayant des difficultés avec la politique allemande au prétexte que rien ne devait compromettre ce qu'il appelait le «bon fonctionnement» du soi-disant couple. Il est aujourd'hui isolé, ayant perdu sa crédibilité en Allemagne, mais aussi chez de nombreux partenaires au sein de l'UE. Il se retrouve contraint de faire cavalier seul, une posture qui n'est ni son choix ni cohérente.
Mais le chef de l'État s'est isolé des pays partenaires de la France. L'affrontement avec l'Italie, affrontement surjoué, car il permettait à Emmanuel Macron de mettre en scène la fameuse opposition entre «progressistes» et «nationalistes», a abouti à l'isolement de la France. Et cet isolement aboutit à la paralysie.
L'ambiguïté des oppositions
Cette crise n'est pourtant pas spécifique au Président de la République.
François-Xavier Bellamy, la tête de liste des «Républicains», pouvait bénéficier d'un a priori favorable. Mais l'importance des points qu'elle laisse en suspens reste une fragilité intrinsèque de cette liste. Elle rassemble des personnes défendant des positions tout à fait contraires sur la question de l'UE. Et même «Refonder l'Europe, rétablir la France», le slogan de campagne trouvé non sans peine, montre bien les ambiguïtés de cette liste. Car il ne s'agit pas de l'Europe, mais de l'UE. Et toute tentative de rétablissement de la France se heurtera immanquablement aux directives de l'UE qui, pour la plupart, ne peuvent être changées qu'à l'unanimité. Le piège de l'UE s'est donc refermé sur les «Républicains».
À leur décharge, ils ne sont pas les seuls. D'autres partis, les survivants du PS réfugiés chez Benoît Hamon, les égarés du PC derrière Brossat, sont pris dans le même piège. Ils récusent les règles antisociales de l'UE, ce qui est fort bien. Mais ils se refusent d'admettre que faute d'unanimité sur certains points, d'une majorité large sur d'autres, la capacité de la France à changer ces règles est nulle. D'où le sentiment de malaise qui monte de leurs campagnes. On se demande si ces gens ont réellement une connaissance des règles et des procédures de l'UE ou s'ils considèrent que la dénonciation de mesures antisociales n'est qu'une figure de rhétorique nécessaire vis-à-vis de leurs électorats respectifs.
Quant aux autres, le positionnement de la liste de DLF est illisible à la suite d'erreurs tant tactiques que stratégiques. L'UPR et les Patriotes, quant à eux, semblent murés dans un chacun pour-soi stérile et destructeur, alors qu'ils défendent des options proches, voire similaires.
La crise des «Insoumis»
Un tournant tactique discutable s'est ainsi transformé en un furtif virage stratégique. Celui-ci a également eu comme conséquence le départ de militants historiques, certains dans le bruit et la fureur, d'autres dans le silence. Ce virage stratégique a mis en évidence les problèmes de démocratie interne d'un mouvement qui se refuse à toute structuration réelle. Il est probable qu'une prise de conscience et de l'erreur tactique initiale, et de la nécessité de revenir à la stratégie originelle de la FI se fasse jour. Mais, sera-t-il suffisant compte tenu du passif accumulé?
Emmanuel Macron est peut-être affaibli, discrédité, voire honni, mais il risque de dominer le champ de ruines d'une opposition prise dans ses illusions, ses faux-semblants et ses rancunes.
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