Le Sénégal chercherait à diversifier ses partenaires. Ce pays africain qui a surfé sur une vague de croissance de 6.8% en 2018, se tourne de plus en plus vers l'est et tisse activement de nouveaux liens avec la Chine et la Russie. Au moins c'est ce qu'affirme dans un entretien à Sputnik Thierno Ba Demba Diallo, président de l'Institut africain de Négociation appliquée et conseiller du gouvernement sénégalais.
«Pendant longtemps, on s'est emprisonné dans le pré carré français», rappelle-t-il. «Aujourd'hui, si la France veut continuer de travailler avec l'Afrique, c'est à elle de s'adapter aux conditions de l'Afrique, aux conditions de la Chine, aux conditions de la Russie».
Tourner le dos à la France?
Si le Sénégal diversifie ses partenaires et tisse des liens avec la Chine et la Russie, mais aussi avec l'Inde et le monde arabe, ce revirement ne semble à ce jour pas menacer la France, qui elle-aussi muscle sa présence dans le pays.
Évoquant les investissements français en Afrique, Thierno Ba Demba Diallo est revenu sur la visite au Sénégal fin mars de Bruno Le Maire, ministre français de l'Économie et des Finances. Saluant les performances économiques du pays africain, le ministre a lancé le programme français Choose Africa, qui met à disposition des TRE-PME du continent plus de 2,5 milliards d'euros d'ici 2022.
Franc CFA
Dans son discours, Le Maire a également abordé le sujet du franc CFA, monnaie aujourd'hui utilisée dans quinze pays africains et fabriquée en France. L'avenir de la zone Franc appartient aux États membres «de manière indépendante et souveraine», affirmait-il notamment en plein débat autour de cette devise arrimée à la monnaie européenne par une parité fixe (655 francs pour un euro).
«Il est incompréhensible aujourd'hui que les pays africains qui ont en commun le franc CFA soient obligés de déposer au trésor français des montants aussi importants. Je lisais quelque part que 3.600 milliards […]sont aujourd'hui dans le trésor français alors que ces pays ont du mal à financer leur économie», poursuit l'expert.
«Il est temps, malgré le fait qu'il y a un certain aspect politique, […] que l'Afrique s'affranchisse de ça, qu'elle pense à créer sa propre monnaie. C'est possible aujourd'hui de créer sa propre monnaie», conclut l'expert. Et d'ajouter: «C'est l'avenir».
«La Chine vient pour faire du business»
La Chine est le deuxième partenaire commercial du Sénégal, derrière la France, avec un volume d'échanges de deux milliards de dollars en 2016, selon des chiffres officiels sénégalais. L'empire du Milieu est par ailleurs le 1er investisseur dans ce pays africain, traditionnellement tourné vers la France, et injecte des millions de dollars dans les infrastructures.
«La Chine ne vient pas pour aider l'Afrique, elle vient pour faire du business. C'est un échange. Elle investit dans nos infrastructures et en contrepartie elle prend nos ressources naturelles», explique Thierno Ba Demba Diallo. Avant de poursuivre: «La Chine met en place des conditions beaucoup plus souples que celles que nous avons avec l'Occident».
«Nous avons besoin du savoir-faire de la Russie»
Le géant asiatique investit dans les infrastructures sénégalaises, mais repart avec les ressources naturelles africaines pour les transformer sur son territoire, un modèle qui convient à Dakar depuis que d'importants gisements de pétrole et de gaz ont récemment été découverts dans le pays.
Si les réserves naturelles sont majeures, le Sénégal manque de savoir-faire pour les exploiter seul. Ainsi, le pays s'intéresse à l'expérience russe en la matière, note M.Diallo s'exprimant en marge du Forum économique de Yalta, en Crimée.
Pour éviter d'acheminer sur d'autres continents les hydrocarbures ainsi que les bauxites et le fer extraits en Afrique, Thierno Ba Demba Diallo estime que les pays africains devraient réfléchir à faire du Sénégal un hub sidérurgique et minier.
«La Russie peut nous aider avec son savoir-faire sidérurgique, avec sa longue tradition gazière à mettre en place l'industrie sidérurgique solide en Afrique», explique-t-il. Avant d'ajouter: «Nous avons besoin du savoir-faire de la Russie»