La police a-t-elle empêché les secouristes de venir en aide à Geneviève Legay, militante Attac, blessée lors de l'acte 19 des Gilets jaunes à Nice? Alors que l'enquête se poursuit, plusieurs témoignages recueillis suite à cet incident viennent alimenter la polémique.
De nombreuses personnes présentes ce jour-là affirment qu'un groupe de street medics a été interpellé et placé en garde à vue à Nice. Interrogé à ce sujet, le procureur Jean-Michel Prêtre a reconnu l'interpellation. Or, sa vision des faits va à l'encontre des images réalisées juste après la chute de Geneviève Legay.
«Ils ont été interpellés dans un secteur très précis de la place Masséna, tout à fait éloigné de Mme Legay et ils ne pouvaient pas savoir ce qui s'est passé», a affirmé M.Prêtre la semaine dernière.
«Il y a eu effectivement une interpellation… en tout cas, une action qui les empêchait d'intervenir mais pas alors […] qu'ils voulaient aller se porter au secours de Mme Legay. C'est matériellement impossible», a poursuivi le procureur, ajoutant que «deux autres street medics étaient à côté et ont pu intervenir immédiatement».
«Les medics étaient à 18 pas exactement de Geneviève»
Le journaliste indépendant connu sous le pseudonyme de Live Motard 06 était en direct depuis Nice quand Geneviève Legay s'est retrouvée à terre, blessée.
Des images qu'il a réalisées montrent qu'en réalité seuls quelques mètres séparaient une équipe de secouristes de la septuagénaire. «Les medics étaient à 18 pas exactement de Geneviève», explique-t-il à Sputnik.
Sur la séquence partagée par Live Motard 06, des forces de l'ordre retiennent des secouristes devant une pharmacie, quelques instants avant la chute de la militante Attac.
Alors que la femme se retrouve au sol, quelques secondes suffisent à l'auteur des images, dont la caméra filme tout son parcours, pour s'approcher de steet medics encerclés par la police. Il crie alors à plusieurs reprises «Laissez passer les médics». «Désolé, on interpelle», répond la police.
«Le Parquet appréciera. Ce n'est pas mon problème», déclare l'un des policiers à la fin de la séquence partagée sur YouTube.
«À vrai dire tous les policiers me laissent passer et veulent laisser passer les medic mais c'est le chef qui empêche», nous raconte le journaliste.
Une autre vidéo vient appuyer ce témoignage.
«Tous les médias ont la vidéo et plusieurs étaient là au moment de la chute et savent donc que le procureur ment quand il dit que les medics arrêtés n'étaient pas à côté», poursuit-il.
Un homme en casque blanc et avec une écharpe tricolore
Live Motard 06 est loin d'être le seul à attirer l'attention sur le chef de la brigade de police. Christophe, secouriste qui était parmi les street medic bloqués par la police raconte qu'il a passé dix heures en garde à vue dans des conditions «insalubres» et conteste lui aussi les propos du procureur.
«Contrairement à ce que dit le procureur, nous n'étions pas sur Masséna. Nous étions sur Garibaldi où j'ai fini avec des bracelets et passé 10 heures en garde à vue parce que je voulais porter secours à cette femme alors que ce commissaire divisionnaire avec son casque blanc et son écharpe tricolore nous a interdit l'accès à cette femme», a-t-il déclaré samedi 30 mars. Le secouriste était venu porter un bouquet de fleurs à l'hôpital Pasteur de Nice pour Geneviève.
Thierry Paysant, un autre street medic qui était samedi 23 mars parmi les secouristes interpellés non loin du lieu où Geneviève Legay a été blessée, évoque lui aussi un policier avec «un casque blanc et une écharpe bleu blanc rouge».
Dans une vidéo publiée sur son compte Facebook, il affirme que les pompiers n'ont pu porter secours à la septuagénaire que 10 minutes après sa chute. Selon le secouriste, les forces de l'ordre ont d'abord demandé aux medics d'intervenir, mais l'un d'entre eux les en a empêché et les policiers ont procédé à leur interpellation.
«Les gendarmes nous ouvrent la porte, et là il y a un type avec un casque blanc et une écharpe bleu blanc rouge tricolore. […] Il nous a empêché d'y aller, il nous a mis en garde à vue direct», dit-il.
«Souchi en prison»
«Samedi, nous sommes allés manifester contre ce chef, commissaire divisionnaire Souchi», raconte à Sputnik Live Motard 06.
Sa vidéo réalisée le 30 mars montre un important cortège de Gilets jaunes défiler devant Caserne Auvare où sont régulièrement retenus les manifestants placés en garde à vue. C'était pour dénoncer des «conditions de détentions intolérables» et les «actes du commandant divisionnaire», explique le journaliste en commentaire de sa vidéo.
«Souchi en prison», scande la foule, «On est avec vous, les policiers». Cette manifestation n'a pourtant pas attiré l'attention de la presse de même que la personnalité de Rabah Souchi, affirme l'auteur de la vidéo. «En garde à vue, de très nombreux policiers ont expliqué que ce sont les ordres de "Souchi", qu'ils n'en peuvent plus, etc… Mais silence radio dans tous les medias», ajoute-t-il.
Rabah Souchi a par le passé été commissaire principale à Arras et à Amiens. «Un peu brut de décoffrage, voire brutal dans la manière de diriger ses forces de l'ordre, le commissaire s'était rapidement attiré les foudres de certains représentants syndicaux qui lui reprochaient ses méthodes. Au point que l'Inspection générale de la police nationale était même venue pour s'enquérir de la situation», écrivait à son sujet La Voix du Nord en 2012. L'avenir dira si l'IGPN se penchera à nouveau sur son dossier.