L'opposition est aussi rude que le soutien massif. Ce n'est que l'un des paradoxes apparents du projet de loi soutenu par François Legault, le nouveau Premier ministre du Québec. Son ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, vient en effet de déposer un projet de loi interdisant le port de signes religieux pour certains employés de l'État. Un projet de loi jugé controversé, qui vaut déjà au gouvernement de graves accusations de racisme.
Un projet de loi consensuel, mais controversé
Le débat sur la laïcité fait rage depuis plus de dix ans au Québec. En déposant cette loi, le gouvernement Legault tourne une page d'histoire. En 2007, une commission avait été mise sur pied pour trouver des solutions aux problèmes soulevés par la demande croissante d'accommodements religieux. Dirigée par le philosophe Charles Taylor et le sociologue Gérard Bouchard, la commission avait déposé son rapport en 2008. Le projet de la CAQ correspond essentiellement aux recommandations du rapport.
«Le projet de loi propose d'interdire le port d'un signe religieux à certaines personnes dans l'exercice de leurs fonctions. Toutefois, il prévoit que cette interdiction ne s'applique pas à certaines personnes en poste au moment de la présentation du projet de loi selon les conditions qu'il précise», peut-on notamment lire dans son préambule.
«Le Canada est un pays laïc, qui respecte profondément les libertés individuelles, y compris la liberté d'expression, la liberté de conscience et de religion. Le Québec aussi», a averti Justin Trudeau lors d'un point de presse à Halifax.
Il était prévisible qu'Ottawa critique le choix du Québec de légiférer en matière de laïcité. La vision du gouvernement fédéral demeure à des années-lumière de celle du gouvernement Legault. Cette divergence s'explique surtout par la culture: dans l'ensemble, les Québécois francophones sont beaucoup plus favorables à la laïcité que les Canadiens anglais. Dans les provinces anglophones, la laïcité est systématiquement associée à une violation des droits individuels.
«Le Canada est déjà un pays laïc. Cela se reflète dans toutes nos grandes institutions. Les gouvernements devraient travailler à protéger nos droits fondamentaux plutôt que de les éroder», a écrit sur Twitter Cameron Ahmad, le directeur des communications du Premier ministre.
Des affrontements sont à prévoir entre le gouvernement fédéral et le gouvernement Legault, car le projet pourrait être jugé anticonstitutionnel par la Cour suprême. Le maire de Montréal, Valérie Plante, estime d'ailleurs que le gouvernement «s'engage sur une pente glissante en contournant les Chartes de droits et liberté». Pour qu'elle soit appliquée, la loi devra passer sous les fourches caudines des plus hautes juridictions.
Il faut bien comprendre que le projet de loi s'inscrit également dans une perspective nationaliste. La laïcité permet d'affirmer l'identité québécoise à l'intérieur de la fédération, ce qui déplaît beaucoup à certains défenseurs de l'unité canadienne. Depuis la montée du mouvement souverainiste dans les années 1970, l'affirmation des Québécois est mal perçue par le gouvernement fédéral. Leur affirmation l'est encore plus depuis que le Canada a intégré le multiculturalisme à sa Constitution en 1982.
Si le gouvernement Legault échouait à faire passer sa loi, il n'est pas impossible que le mouvement souverainiste connaisse un regain de vitalité. Peu importe l'issue de l'affrontement à venir, François Legault devrait en sortir gagnant. Si sa loi est validée par la Cour suprême, Legault serait considéré comme l'un des grands architectes de la laïcité québécoise. Et si son projet était rejeté, il serait vu comme un Premier ministre ayant relancé le mouvement nationaliste. Dans un cas comme dans l'autre, il aura marqué l'histoire de la Belle Province.