«La nécessité est mère de l'invention, comme on dit. Et pour les investisseurs, il n'existe pas de plus grand besoin que de trouver de nouveaux moyens de faire le plus d'argent possible avec le moins de risque possible. Si une classe d'actifs attrayante se trouve décorrélée du reste des marchés, c'est tant mieux.»
John Divine, journaliste pour US News, a bien résumé le récent attrait des investisseurs de Wall Street pour les cours de justice. Des entreprises proposent de tout simplement parier sur l'issu d'un procès. Comment cela fonctionne-t-il? L'investisseur apporte des fonds à un plaignant ou à un accusé afin de payer ses frais de justice. Comme rien n'est gratuit (et surtout pas dans ce milieu), en cas de victoire de son poulain, il se fera payer avec un pourcentage des indemnités perçues.
Comme le rappelle US News, ce genre de pratique a commencé à gagner du terrain en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis dans les années 1990. Depuis, elle ne cesse de prendre de l'importance. En 2016, une affaire a particulièrement mis en lumière ce type de procédé. Peter Thiel, milliardaire et cofondateur de PayPal, a financé le procès du catcheur Hulk Hogan contre le site d'information Gawker, avec pour résultat la banqueroute de ce dernier.
Pour les investisseurs, l'un des avantages les plus importants dans le financement des frais de justice réside dans ce que les initiés appellent «une classe d'actifs décorrélée», c'est-à-dire quasi indépendante des fluctuations du marché. «De nombreux investisseurs sont las d'avoir trop investi sur les marchés primaires en raison de l'effondrement de 2009», souligne Jeff White, analyste juridique et financier pour FitSmallBusiness.com et cité par US News. Il poursuit:
«Ils sont plus que disposés à assumer ce risque calculé, car cela diversifie leurs investissements et leur permet de dégager un rendement intéressant la plupart du temps, si vous effectuez d'abord vos recherches.»
Un phénomène qui inquiète
Aujourd'hui, des poids lourds du secteur, tels que Burford Capital ou IMF Bentham, pèsent des milliards de dollars. Et les hedge funds leur ont emboîté le pas. Comme le note l'AFP, ces derniers «sont prêts à confier leur argent à des sociétés chargées de sélectionner des procès à fort potentiel». Les défenseurs de la pratique arguent qu'elle permet de rééquilibrer les chances entre deux camps aux moyens financiers inégaux.
«Il est très difficile pour une petite entreprise de lutter contre une grosse compagnie», explique à l'AFP Ralph Sutton, habitué du secteur ayant lancé Validity Finance en juin 2018 en levant 250 millions de dollars. Ce dernier ajoute que le financement de frais de justice «permet aux affaires d'être jugées sur leur mérite et non sur l'argent dont dispose l'une ou l'autre partie».
Certains observateurs s'inquiètent quant à eux d'une possible multiplication de poursuites motivées par la manne financière des investisseurs. Aux États-Unis, on dépense 357,6 milliards de dollars par an en services juridiques, selon IMF Betham. à titre de comparaison, le Royaume-Uni se situe autour des 54,9 milliards quand l'Australie est à 19,7 milliards. D'après l'AFP, la Chambre américaine de Commerce souhaiterait contraindre les plaignants bénéficiant d'un sponsor à l'annoncer.
Maya Steinz, juriste enseignante à l'université de Harvard et interrogée par l'AFP, a un avis mitigé sur ces investissements. Si elle note qu'il est utile de donner aux plaignants les moyens d'obtenir justice, elle souligne que «le secteur est encore peu réglementé».
Des dérives pourraient voir le jour, comme le fait pour des investisseurs de forcer la main à un plaignant afin qu'il accepte ou refuse un accord qui pourrait rapporter gros. «Cet argent est un outil qui peut être utilisé ou abusé», affirme Maya Steinz.
John Divine fait, lui aussi, dans la mesure:
«Le financement des litiges est une création incroyablement innovante et intéressante de la haute finance. Mais elle implique des questions éthiques et philosophiques. Chaque médaille a son revers et le récit à la Robin des Bois qui est tissé par certains initiés de l'industrie n'est pas toute l'histoire.»