«Les Van Gogh», le film russe où Van Gogh se fait attendre

«Les Van Gogh», le nouveau film de Sergueï Livnev, sorti après quasiment vingt ans de silence du réalisateur, n'est pas qu'un nième conflit générationnel porté sur grand écran. Pourquoi s'attaquer à ce thème et quel est le lien avec l'illustre artiste? Sputnik France a rencontré le réalisateur pour avoir des réponses.
Sputnik

Du nouveau film de Sergueï Livnev, «Les Van Goghs», on relève un absent de marque: Vincent Van Gogh lui-même! Comment expliquer cela au public? Une idée qui fait franchement éclater de rire son réalisateur: «Pour le comprendre, il faut regarder le film jusqu'au bout!» nous conseille-t-il.

«Mais, sans révéler tous les détails de ce stratagème du film, poursuit le réalisateur, oui, j'ai fait la connaissance d'un véritable projet social et artistique de l'artiste israélienne Sasha Galitsky, qui a décidé de "ne plus être un artiste" et a commencé à aller dans des maisons de retraite pour apprendre aux personnes âgées à sculpter du bois.»

Cette rencontre fortuite avec un créateur israélien, au moment où Sergueï Livnev écrivait son scénario, a touché le réalisateur. Du coup, cet atelier et le travail d'apprentis sculpteurs âgés de 80 à 105 ans font partie intégrante du film.

«Nous avons tourné une grande scène avec la participation de ces vieillards et de notre acteur Alexei Serebriakov, dévoile Sergueï Livnev, où quatre-vingts élèves ont ciselé quatre-vingts œuvres différentes d'après le célèbre "Portrait de Papa Tanguy". Je pense que c'est une raison suffisante pour vous donner envie à voir le film,» lance gaiement le réalisateur.

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Une image du tournage du film de Sergueï Livnev "Les Van Goghs"
Acteurs principal Alexeï Serebriakov
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Une image du tournage du film de Sergueï Livnev "Les Van Goghs"
Le réalisateur Sergueï Livnev
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Le tournage du film "Les Van Goghs" Sergueï Livne
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Daniel Olbrychski lors du tournage du film de Sergueï Livnev "Les Van Goghs"

Il est évident que cette histoire à elle seule ne suffit pas à résumer le long-métrage paru après presque vingt ans de silence artistique de Sergueï Livnev. Auteur du scénario de «Assa», un film culte de Sergueï Soloviov, il a travaillé de nombreuses années comme producteur. Le temps est venu pour lui de raconter une histoire très personnelle.

Le père de 79 ans est un célèbre chef d'orchestre. Le fils de 52 ans est un peintre talentueux, mais inconnu. Leur relation s'est transformée à la longue en amour-haine, avec plus de haine que d'amour. Les deux vivent dans des pays différents et ne se voient qu'en cas «de nécessité». Et cette «nécessité» apparaît soudainement. Ainsi les deux personnes «les plus proches et les plus éloignées» devront-elles suivre un chemin difficile vers la réconciliation.

Encore un film sur la relation intergénérationnelle? Encore un film sur un vieux atteint de la maladie d'Alzheimer et incapable de vivre seul? Social, le film? Rien de tout ça. Bien que le réalisateur avoue que le problème social existe.

«D'une génération à l'autre, les parents estropient moralement leurs enfants, raconte à Sputnik Sergueï Livnev. Et ces enfants, estropiés par leurs parents, tout en se rendant souvent compte de leur problème, handicapent à leur tour leurs enfants. Je pense que c'est le principal problème social de l'Humanité.»

Pourtant, le réalisateur croit qu'il serait très facile de régler ce problème. La solution: l'initiation des parents aux bases de ce qu'on appelle la psychologie de l'enfant. Il serait, d'après lui, utile d'expliquer aux futurs père et mère qui est cette nouvelle personne et avec quoi elle vient au monde, à l'image des cours destinés aux femmes enceintes pour apprendre à bien respirer lors de l'accouchement. C'est simple, alors: l'éducation des parents remplirait d'air frais les poumons des générations à venir!

«Dans deux ou trois générations, le monde changerait radicalement en mieux, se réjouit Sergueï Livnev, d'autant plus que le traumatisme subi par une personne dans son enfance est transmis non seulement à ses propres enfants, mais à toutes les personnes qu'il rencontre dans sa vie…»

Entre-temps, le réalisateur se penche sur la vie et les traumas de son héros, interprété par Alexeï Serebriakov. Ce comédien connu du public français pour son rôle principal dans «Léviathan» de Zviaguintsev, incarne le fils infantile «qui ne peut donc pas trouver sa place dans la vie, qui ne peut pas donner du bonheur à la femme qu'il aime, qui ne peut pas prendre de responsabilité, ne peut pas être un homme adulte.» Alexeï Serebriakov incarne cet enfant estropié dans l'âme, dont la croissance est «ralentie à cause des traumatismes psychologiques qu'il a subis dans son enfance».

«Le film montre vraiment comment le fils et son père font leur chemin de la haine- plutôt d'une pseudo-haine-, de cette incapacité d'aimer, vers l'amour. Ils dénouent des nœuds, qui ont étés noués dans l'enfance», détaille Serguei Livnev.

Dans cette histoire entre le père et le fils, intimiste et tressée serré, les auteurs du film font aussi appel au travail de l'âme du spectateur: quand l'enfant grandit et que le parent vieillit, tous les rôles sont inversés. «Peu importe ce que l'homme a vécu de malheureux dans son enfance, dit le réalisateur, vous pourriez venger cela, mais vous empoisonnez la situation non seulement pour le parent, mais aussi pour vous-même.»

«Résoudre les problèmes avec ses parents est important surtout pour "l'ancien enfant" lui-même: il doit surmonter tous les traumatismes précédents, les "relâcher", affirme Serguei Livnev. Notre héros a trouvé son chemin, quelque peu inattendu (je ne dirai pas lequel).»

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La réalisation du film a duré presque un an et demi. Tourné dans différents pays —Israël et la Lituanie- «Les Van Goghs» est considéré par le réalisateur comme un film absolument russe. Ce caractère n'est pas ébranlé non plus par la participation du comédien polonais Daniel Olbrychski dans le rôle du père. Ce célèbre acteur, qui a joué dans un grand nombre de films d'Andrzej Wajda, dans «Un homme et son chien» de Francis Huster, mais aussi dans «Les uns et les autres» de Lelouch, parle lui aussi parfaitement russe.

«Je suis un homme de langue russe et de culture russe, certifie Serguei Livnev. C'est simple: quand on est né, on aspire la première gorgée d'air, les jeux sont faits!»

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L'ensemble des acteurs, savamment équilibré, s'appuie sur le duo père-fils où Alexeï Serebriakov, bien qu'il joue un homme en crise constante, manie l'ironie et le sarcasme, mais aussi la chaleur. «Ce sont des traits de caractère qui lui sont profondément propres, explique le réalisateur. En fait, il n'y avait pas de casting, j'ai écrit le scénario pour lui.» Visiblement, on voit resurgir là des qualités humaines des interprètes et du réalisateur, mises au diapason, qui font naître la tonalité chaude et vibrante de tout le film. Espérons qu'elle trouve sa résonnance dans les âmes des spectateurs.

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