«Il est intéressant de constater que l'encours des prêts automobiles aux États-Unis gonfle plus vite que les ventes d'automobile elles-mêmes, qui ont tendance à stagner. Ceci est révélateur du fait que les acheteurs apportent de moins en moins d'argent au moment de l'achat et empruntent au contraire une grande partie des fonds, voire la quasi-totalité. Ils sont moins solvables.»
Philippe Béchade, président des Éconoclastes, s'est intéressé pour Sputnik France aux 7 millions d'Américains qui ont au moins 90 jours de retard sur le remboursement de leur prêt automobile. La Réserve fédérale (FED, Banque centrale américaine) de New York s'est inquiétée de cette situation dans une analyse publiée en février. Et pour cause, un tel niveau ne s'est plus observé depuis 2011 comme le soulignent nos confrères des Échos.
Un marché du crédit auto en pleine croissance
L'agence de notation de crédit Experian souligne que le montant moyen d'un paiement mensuel pour l'achat d'un nouveau véhicule a atteint le record de 545 dollars en 2018 contre 515 en 2017. Ceci s'explique notamment par l'appétit des Américains pour des voitures toujours plus coûteuses. Le site Web automobile Edmunds indique que le prix moyen déboursé pour un véhicule neuf a atteint la somme record de 37.260 dollars en décembre. L'augmentation est colossale, +6.598 dollars par rapport à décembre 2010. En résulte une multiplication de prêts longs nous explique Philippe Béchade:
«La durée d'emprunt moyen augmente dangereusement. Nous en arrivons à des prêts de 80 mois. Si l'on prend 72 mois, cela fait 6 ans. Avec une durée moyenne de détention du véhicule de 4 ans, vous avez des gens qui, au moment de changer de voiture, n'ont pas fini de rembourser le précédent prêt. Mais les banquiers sont des gens inventifs. Votre nouveau créancier vous reprendra la fraction restante du prêt non remboursée et vous avancera l'argent pour acheter le nouveau véhicule. Nous sommes dans une cavalerie totale. De plus, il est risqué d'accorder un nouveau prêt à quelqu'un qui n'a pas terminé de rembourser le précédent.»
D'après le site Interest.com, les acheteurs devraient s'astreindre à la formule des «20/4/10», à savoir un apport initial de 20% du montant total, un crédit sur une durée n'excédant pas 4 ans et des mensualités ne dépassant pas 10% des revenus. Beaucoup d'Américains sont très loin de pouvoir prétendre au respect d'une telle règle.
Nos confères de Forbes soulignent une situation «inquiétante», qu'il est cependant nécessaire de relativiser. «Le pourcentage de défaut de paiement a tendance à augmenter, mais il convient de noter qu'il est encore bien en dessous de ce que l'on observait en 2009», explique Melinda Zabritski, directrice des solutions financières automobiles chez Experian et citée par Forbes.
Cela s'explique par la croissance fulgurante de ce marché outre-Atlantique. Les Échos avancent qu'«à la fin de l'année dernière, les encours pour les crédits automobiles s'élevaient à 1.270 milliards de dollars». Citylab souligne que l'augmentation atteint plus de 75% par rapport à la fin 2009. «Rien que pour le quatrième trimestre 2018, 89 millions ont été contractés. Pour la seule année 2018, la valeur des nouveaux prêts automobiles s'est envolée à 584 milliards de dollars (+3% sur un an), un niveau jamais atteint depuis que la Fed réalise ce type de statistique», précisent Les Échos.
Le quotidien économique explique que fin 2018, 30% de l'encours total sur les prêts automobiles américains étaient détenus par les ménages les plus solvables. De quoi rassurer la FED. Ce sont les 22% d'emprunteurs «Subprimes» qui posent problème. Et leur nombre évolue à la hausse, comme le souligne le président des Éconoclastes:
«D'après les statistiques de la FED, de plus en plus de prêts sont qualifiés de "non-prime", c'est-à-dire à risque. Cette dénomination englobe différentes strates de risque. Les 22% sont des prêts vraiment à risque, mais entre les 30% solides et ces 22%, il y a de nombreux prêts potentiellement à risque.»
Citylab cite une publication du Groupe de recherche d'intérêt public américain qui pointe des similitudes avec la crise des Subprimes en 2008:
«La demande croissante des investisseurs pour les obligations à rendement élevé a été parmi les facteurs qui ont conduit les prêteurs à assouplir les normes de prêt pour les crédits automobiles. De 2011 à la mi-2016, plusieurs banques sont allées en ce sens plus qu'elles n'ont durci leurs conditions. Ceci a conduit les emprunteurs à avoir plus facilement accès au crédit. Certains prêteurs ont également adopté des pratiques de prêt douteuses, rappelant les tendances en matière de prêts hypothécaires ayant conduit au krach du marché immobilier de 2008, notamment en accordant des prêts aux consommateurs sans tenir pleinement compte de leur capacité de paiement. Pour trouver plus d'emprunteurs dont les dettes pourraient être regroupées en paquet de titres et vendues en bourse sous forme d'obligations à haut risque et à forte rentabilité, certains établissements de crédit sont devenus laxistes.»
En 2017, l'agence de notation Moody's s'est aperçu que Santander Consumer U.S.A. Holdings Inc, géant du financement de prêts automobiles, n'avait vérifié les revenus que de 8% des emprunteurs. Résultat? Un milliard de dollars d'obligations «packagées» et prêtes à être vendues aux investisseurs.
«Santander a été mis à l'amende pour ce manque de vérification sur la solvabilité des clients et qui a mené au packaging de lignes d'emprunt douteuses», rappelle Philippe Béchade.
En mars 2017, la filiale du groupe bancaire espagnol a consenti à payer une amende d'un montant de 26 millions de dollars afin d'éviter des poursuites. Ses pratiques de prêts automobiles dans les États américains du Massachusetts et du Delaware n'avaient pas plu aux autorités, qui avaient pointé des ressemblances avec les mécanismes en action lors de la crise de 2008.
Reste que les montants sont sans commune mesure avec ceux des crédits immobiliers Subprimes en 2008. S'ils augmentent, les 1.270 milliards de dollars d'encours sur les prêts automobiles américains sont toujours loin des 1.460 milliards de la dette étudiante ou des plus de 9.000 milliards des crédits immobiliers actuels. Ce qui a fait dire à R.J Cross, analyste pour Frontier Group, que la problématique des crédits autos aux États-Unis ne sera pas «le prochain 2008».
Philippe Béchade abonde dans ce sens, avec un (gros) bémol. Il souligne le risque de l'augmentation exponentielle de la dette des ménages de l'Oncle Sam:
«Au niveau des encours, on ne se situe absolument pas dans les mêmes échelles. Le problème vient du fait que l'endettement des ménages (13.540 milliards de dollars d'encours fin 2018 Ndlr) est bien supérieur au niveau qui était le sien en 2008 quand les choses ont mal tourné. Il faut prendre conscience que tout est lié. Quand vous êtes en difficulté sur votre crédit auto, vous l'êtes aussi sur vos crédits à la consommation et vous ne tarderez pas à l'être sur un prêt immobilier. Les gens s'endettent de plus en plus et sur des échéances de plus en plus longues pour maintenir un certain niveau de consommation. Quand nous en sommes là, généralement, nous ne sommes pas très loin de graves problèmes.»