La radio Europe 1 a stocké pendant près de deux décennies des informations sur plus d'un demi-million de ses auditeurs en accompagnant ces notes de commentaires injurieux, a annoncé Mediapart après avoir consulté un rapport de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
Ainsi, avant de faire passer un auditeur à l'antenne de la radio, des téléopérateurs de la station doivent procéder à un «casting d'auditeurs».
Pour réaliser ce tri, les employés utilisaient notamment le logiciel informatique «Chamane» dans lequel, outre les mentions classiques comme nom, prénom, profession et qualité de l'élocution, il existait une case «commentaire» permettant «aux standardistes de faire part de leur appréciation personnelle», poursuit Mediapart.
Ainsi, la Cnil a fait état dans son rapport de commentaires péjoratifs comme: «séropositif», «plus alcoolique mes fesses!», «arrêt maladie, traitement pour un cancer», «accent juif tunisien, insistant et désagréable», «accent du Maghreb, pas toujours claire, bavarde, a besoin de parler de son cancer», «il est homo», «c'est un ancien hétéro, qui est devenu homo».
Au total, la Cnil a souligné que «plus de 483 fiches contiennent des commentaires relatifs à la qualité des auditeurs», commentaires qu'elle a qualifiés de «non adéquats» et «insultants» comme par exemple des commentaires indiquant: «gros con», «FACHO!!!», «voix de vieille pédale!», «raciste et mal aimable compare très finement les Arabes et les Chinois», «ne répond jamais ce fdp», «connard qui nous a déjà bien fait chier».
Mediapart rappelle également qu'il est interdit par la loi sous peine d'amendes pouvant atteindre 1,5 million d'euros de recueillir sans consentement des données à caractère personnel relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle, aux origines raciales ou ethniques, ou aux appartenances religieuses.
«Ce fichage, "excessif", est "contraire aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978", selon l'autorité indépendante», poursuit le média.
«Un simple avertissement a été prononcé. La justice n'a pas été saisie. La station n'a pas eu à payer d'amende», souligne le média.
Bien que les données auraient dû être détruites au bout de deux ans, les employés de la radio ont stocké depuis 2002 des informations sur 573.315 auditeurs.
La secrétaire générale d'Europe 1, Anne Fauconnier, a affirmé à Mediapart que «ni la direction de la radio ni les standardistes n'avaient connaissance de la conservation des données» et que «la conservation des données sur une longue période» était due à «une erreur technique».
Laurent Guimier, le vice-PDG d'Europe 1, a réagi à ces révélations sur son compte Twitter en assurant que «la direction avait corrigé ces dérives inadmissibles».
«Après le passage de la Cnil, Europe 1 a effectivement décidé de purger ses bases de données "Chamane", et d'adresser un mail de rappel à l'ordre à ses équipes de téléopérateurs. Ces mesures, combinées à d'autres, ont visiblement convaincu la Cnil de ne donner aucune publicité à l'affaire, de ne pas transmettre les faits à la justice, de ne prononcer aucune peine d'amende», poursuit Mediapart.
«En juillet 2015, l'autorité administrative indépendante avait déjà mis en demeure Europe 1 de respecter la réglementation en matière de recueil de données sur son site internet. La même année, la Cnil, saisie de la plainte d'un usager, avait dû intervenir auprès de l'entreprise pour faire supprimer définitivement les coordonnées de cette personne de ses listings de prospection commerciale», conclut le site d'information.