Présidentielle sénégalaise: «l'opposition au franc CFA doit s'exprimer lors du vote»

Le premier tour de l'élection présidentielle au Sénégal est prévu pour le dimanche 24 février. Alors que la campagne bat son plein, le «Collectif Sortir du franc CFA», veut faire de cette monnaie, un thème central du scrutin. Makhoudia Diouf, enseignant et coordonnateur du Collectif, revient sur les enjeux de ce débat au cœur de l'actualité.
Sputnik

Le franc CFA arrivera-t-il à s'inviter au cœur de la campagne présidentielle sénégalaise? C'est en tout cas le souhait du «Collectif Sortir du franc CFA», qui a envoyé une lettre aux cinq candidats pour recueillir leur position sur l'avenir de cette monnaie «coloniale». Alors que le premier tour est prévu pour le dimanche 24 février prochain, le collectif veut imposer le franc CFA au cœur du débat sénégalais et en faire écho sur le continent et au delà.

Makhoudia Diouf, enseignant sénégalais en France et coordonnateur du collectif «Sortir du franc CFA», revient sur le débat autour de cette monnaie, sous le feu des critiques depuis les indépendances et qui rencontre depuis peu de nouvelles formes de contestation dans l'opinion publique internationale.

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Sputnik: Pourquoi avez voulu faire de la question du franc CFA, un thème central de la présidentielle sénégalaise? Pour quelle efficacité?

Makhoudia Diouf: «Comme nous l'avions fait pour le Togo et au Cameroun, notre collectif "Sortir du franc CFA" tente d'imposer le thème du franc CFA lors de chaque élection dans les différents du pays de la zone franc CFA. Les Africains sont majoritairement contre cette monnaie coloniale et veulent son abandon. Nous voulons que cela change: l'opposition au franc CFA doit s'exprimer lors du vote pour ainsi faire pression sur nos dirigeants à ouvrir les négociations pour une sortie du franc CFA.
Le Sénégal entrait en campagne pour des élections présidentielles, nous avons contacté logiquement les cinq candidats pour connaître leur position sur le franc CFA et ensuite la dire aux électeurs sénégalais. Je vous parlerai de l'efficacité de notre initiative après les élections sénégalaises, mais nous constatons surtout chez les jeunes une réelle volonté d'en finir avec ces Présidents africains qui ne veulent pas émanciper l'Afrique de la tutelle française. Nous parlons en priorité à ces jeunes pour leur dire qu'ils peuvent changer les choses par le vote. On espère ainsi démocratiser le débat contre le franc CFA, qui ne doit pas rester un sujet de discussion entre les économistes.»

Sputnik: Quelles sont les critiques que les opposants à cette monnaie comme vous, formulent?

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Makhoudia Diouf: «Elles sont multiples. D'abord, le franc CFA est une monnaie coloniale alors que nos pays étaient encore des colonies. Toutes les ex-colonies françaises se sont émancipées, sauf nos pays qui continuent à défendre cette monnaie coloniale. Les populations sont hostiles à cette monnaie et ce sont nos dirigeants qui continuent à être dans une forme de servitude volontaire, comme le dit l'économiste togolais et opposant au franc CFA Kako Nubupko.
Ensuite, le bilan du franc CFA est extrêmement mauvais: nos pays sont pour la plupart classés par les PMA [pays les moins avancés, ndlr]; cette monnaie n'a pas permis l'industrialisation de l'Afrique et n'a pas non plus rendu possible le commerce entre les États membres. Enfin, le franc CFA nous met vis-à-vis de la France dans la situation de dominés face à un dominant, la France. D'ailleurs, dans les ouvrages de géopolitique, on ne se gêne pas pour présenter le franc CFA comme un instrument de sa [la France, ndlr] puissance et de son rayonnement géopolitique. Cela s'appelle la sphère d'influence française. Chose étrange, la France n'a pas de politique américaine spécifique, pas de politique indienne ou chinoise, mais elle parle volontiers de la politique française en Afrique comme si les ex-colonies n'étaient pas en réalité indépendantes et pourraient ainsi lui servir de variables d'ajustements pour son rayonnement international.»

Sputnik: Et sur la question des comptes d'opération, quels sont les avantages de la pérennisation de cette monnaie pour la France?

Makhoudia Diouf: «Si vous voulez me demandez si la France tire un intérêt économique de ce compte d'opération, je vous dirais que le problème n'est pas là. Le souci est que nos États payent une garantie à un État tiers pour nous garantir la convertibilité de notre monnaie. Cette garantie n'est qu'une façade. Nous devons mobiliser les milliards déposés sur ce compte pour sortir les Africains de la pauvreté. Je sais que le mot est galvaudé aujourd'hui, mais je suis un peu souverainiste lorsqu'il s'agit de choses si importantes comme la monnaie: nos États doivent être les maîtres du jeu et pas un État tiers qui nous met sous tutelle.»

Les pays ayant en partage le franc CFA pourraient-ils y renoncer?
Sputnik: «Le franc CFA présente des avantages et nous ne pouvons pas nous lancer dans une aventure juste parce qu'il a quelques désavantages… Le franc CFA est stable et ce, quoi que l'on puisse dire», avait déclaré Macky Sall à l'occasion d'une visite d'État en France. La stabilité… un avantage évoqué par les défenseurs du franc CFA. Comment avez-vous apprécié cet argument du Président sénégalais?

Makhoudia Diouf: «Macky Sall est le chef de l'État sénégalais, alors il doit être digne de sa fonction. Il ne peut pas défendre une monnaie coloniale qui asservit et humilie son peuple depuis si longtemps. Le franc CFA n'est pas une monnaie solide, c'est une monnaie figée par des mécanismes comme la parité fixe vis-à-vis de l'Euro, la non-convertibilité entre elles des deux monnaies CFA (CEMAC et UEMOA) et l'absence d'une zone monétaire cohérente qui favorise des échanges commerciaux conséquents entre les États.»

Sputnik: Ne faut-il pas plutôt réformer le franc CFA?

Makhoudia Diouf: «Non, il faut sortir du franc CFA et demander à la France d'abolir cette monnaie coloniale et ainsi fermer une des pages sombres du pillage de nos pays. Nous sommes pour la création d'une monnaie ou de plusieurs monnaies autochtones, c'est-à-dire réellement africaines.»

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