La Commission européenne pourrait-elle retoquer le projet de fusion entre le Français Alstom et l'Allemand Siemens? Dans un communiqué commun, les deux entreprises annoncent avoir présenté le 12 décembre une «proposition de remèdes» aux griefs signifiés par l'organe exécutif européen.
Principal reproche aux yeux de la Commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager, qui avait annoncé le 13 juillet l'ouverture d'une «enquête approfondie»: l'absorption d'Alstom par Siemens Mobility, en l'état, «éliminerait un concurrent très puissant», ce qui pourrait mener à une «hausse des prix», une «diminution du choix» et un «recul de l'innovation.»
«Une telle évolution serait préjudiciable aux opérateurs ferroviaires, aux gestionnaires d'infrastructures et, in fine, aux voyageurs européens qui utilisent quotidiennement le train ou le métro», estimait la Commission européenne.
Il faut dire que l'argument de faire face à la concurrence du Chinois CRRC, clef de voûte de la communication entourant la cession au groupe allemand de la branche rescapée d'Alstom —après le rachat de sa branche énergie par son concurrent américain General Electric- n'a clairement pas convaincu Bruxelles.
«À ce stade, la Commission a conclu qu'il semblait peu probable que de nouveaux concurrents, en particulier d'éventuels fournisseurs chinois, fassent leur entrée dans un avenir prévisible sur les marchés du matériel roulant et des solutions de signalisation dans l'EEE,» ajoute la Commission dans son communiqué.
Si Alstom et Siemens jugent de leur côté «appropriée» et «adéquate» leur réponse à l'organe exécutif européen, certains observateurs semblent moins convaincus, comme Libération qui estime que «l'affaire semble mal engagée», évoquant un risque d'un veto de la Commission. Une situation d'autant plus ubuesque que, comme nous le soulignions déjà en septembre 2017, nos confrères rappellent que le carnet de commandes d'Alstom était bien plus fourni que celui de Siemens (34,8 milliards contre 7,8 milliards d'euros à l'époque).
Pourtant, si le siège du groupe sera parisien, c'est bien la firme munichoise qui sera l'actionnaire majoritaire du futur groupe Siemens-Alstom, qui n'aura finalement d'un «Airbus du rail» que le slogan aguicheur.
«Il y a une totale incohérence entre une politique résolument libérale, qui cède tout à l'aune des marchés, et la volonté de vouloir préserver des actifs qui seraient stratégiques», déclare à notre micro Marc German, spécialiste en industrie de la défense.
Il faut dire cette cession d'Alstom à Siemens s'inscrit dans la continuité du rachat par General Electric de la branche énergie du groupe français. Une cession controversée, notamment sur les problématiques de souveraineté qu'elle souleva. En effet, Alstom a équipé de ses turbines le parc national de centrales nucléaires ainsi que la flotte nucléaire française.
Une fois le rachat du Français conclu, le groupe américain n'avait d'ailleurs pas manqué de faire pression sur EDF, arrêtant même l'entretien des turbines des centrales nucléaires françaises, afin de renégocier ses contrats de maintenance.
En matière de préservation des actifs stratégiques de la France, la semaine a mis en lumière une autre information, celle de la Tribune qui révèle que l'État ne souhaiterait plus se désengager de Safran, afin «d'envoyer un signal fort aux marchés» et mettre «à l'abri de mésaventures capitalistiques hostiles.» Un abri de fortune, aux yeux de Marc German,
«Pour verrouiller le capital, il faut que l'État puisse s'adjoindre le concours d'au moins six autres actionnaires. Cela ressemble à une usine à gaz. Si demain, il y avait une opération hostile contre l'entreprise, je ne vois pas comment l'État pourrait protéger les actifs stratégiques.»
En effet, alors que l'État français détenait début 2013 près de 30% des parts du capital de ce leader européen des drones, «n° 4 mondial des lanceurs spatiaux si on inclut les moteurs de missiles et c'est sans compter la fourniture exclusive de toutes les turbines pour les hélicoptères de l'armée française» précise Marc German —il n'en possède plus que 10,81%, suite à une énième cession de capital début octobre, à hauteur de 2,35%.
Avec une telle participation au capital de Safran, l'État n'arrive à 18% de droits de vote que grâce à ses actions à droit de vote double, un principe mis en place en mars 2014 par la «loi Florange». Pour atteindre un droit de blocage de 21%, le gouvernement doit donc compter sur d'autres actionnaires français de l'équipementier aéronautique.
Une confiance française dans ses partenaires européens qui rappelle le cas Alcatel-Lucent, l'un des champions mondiaux des câbles sous-marins via sa filiale Alcatel Submarine Networks (ASN). Un secteur hautement stratégique et que de nombreuses nations verrouillent aujourd'hui.
Le gouvernement ne s'est pourtant pas opposé en 2016 à l'OPA lancée sur le groupe franco-américain par Nokia. À l'époque, Emmanuel Macron avait d'ailleurs moqué au ceux qui, selon lui, auraient une «vision romantique» des grandes entreprises françaises. Aujourd'hui, l'État français est engagé dans un bras de fer avec l'équipementier finlandais, ce dernier ayant décidé de revendre ASN. De son côté, Paris fait valoir son droit de regard.
«Il y a une contradiction totale entre la politique économique générale- totalement libérale- et les intérêts stratégiques. Il y a un moment où ça se télescope, insiste Marc German. […] On prétend que l'État actionnaire n'a pas de vision stratégique, n'est pas un facteur de croissance ni de développement économique.
Pour moi, c'est totalement faux, surtout lorsqu'il s'agit d'assurer la souveraineté, de préserver non seulement des emplois, mais surtout une capacité de recherche et développement qui est le fer de lance de la production industrielle. Les équipements qui se vendent aujourd'hui sont, pour la plupart, le fruit de ces budgets de recherches et développement d'il y a vingt ans.»