Vu depuis la rive sud de la Méditerranée, le spectacle de Paris en flammes avait certainement quelque chose d'affligeant. La Ville-Lumière exerce un attrait certain, et souvent irrésistible, sur un nombre incalculable d'Algériens, de Marocains et de Tunisiens. Paradoxalement, ce serait mentir que d'affirmer que ce même spectacle ne leur a pas parfois procuré une compensation psychologique particulièrement vicieuse.
Après tout, la déclaration d'amour de Joséphine Baker n'engage qu'elle-même.
Et puis, Paris vaut bien «a mess», à l'instar de ces scènes dystopiques et à la limite de l'apocalyptique, en rupture, dans l'esprit des gens du Sud, avec l'image héritée et stéréotypée du pays du bien-être et de la société des bonnes manières. De quoi assortir la fin de l'histoire, selon Francis Fukuyama, d'un petit sursis, à défaut de la remettre carrément en question.
Les Tunisiens ruminaient aussi une petite vengeance. Une francophobie passagère avait soufflé sur la Tunisie en raison de l'attitude d'officiels français pendant les événements de 2010-2011. On ne pardonnait pas à la ministre française des Affaires étrangères de l'époque, Michèle Alliot-Marie, d'avoir proposé, au plus fort des heurts, d'«exporter (au pouvoir de Ben Ali) le savoir-faire français en matière de maintien de l'ordre». Les journaux français avaient révélé qu'on avait également autorisé l'exportation de grenades lacrymogènes pour mater la révolution. Celle qu'on baptisera plus tard «ministre lacrymogène» devait se féliciter, tout de même, au lendemain du 14 janvier de la chute de Ben Ali. Comble de «l'enfumage».