La polémique enfle autour du Pacte de Marrakech, où Pacte mondial pour les migrations, sûres, ordonnées et régulières qui doit être signé par plusieurs chefs d'État, dont Emmanuel Macron, les 10 et 11 décembre dans la capitale marocaine, à l'occasion de la Conférence Internationale sur la Migration (CIM 2018).
Un Pacte sur la nécessité duquel l'ensemble des 192 pays membres de l'Onu (à l'exception des États-Unis) s'étaient entendus à la mi-juillet. Ce texte, considéré comme le premier document international sur la gestion des migrations prend sa source dans la Déclaration de New York adoptée en septembre 2016 et vise à créer les «conditions favorables qui permettent à tous les migrants d'enrichir nos sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales». Un pacte resté jusqu'à la semaine dernière relativement peu évoqué par les médias français ainsi que la classe politique du pays.
En effet, il aura fallu attendre qu'une partie des Gilets jaunes s'en saisisse pour que les inquiétudes fleurissent et les déclarations — parfois alarmistes — se multiplient sur la Toile. Lundi 3 décembre, Marine le Pen a ainsi, dans une allocution, demandé au Président de la République de «renoncer à cet acte de trahison», ni plus ni moins.
«Au même titre que le droit international reconnaît le statut protecteur aux 25 millions de réfugiés, les immigrationnistes entendent désormais offrir un statut aux 225 millions de migrants, dont les parcours seront désormais promus, organisés et protégés par le droit international», déclarait le 3 décembre Marine Le Pen.
Quelques jours plus tôt, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan avait appelé dans un communiqué Emmanuel Macron à revoir sa position et à ne pas «tombe [r] dans ce piège migratoire». Le Président de Debout la France évoque notamment l'omission par l'Onu des coûts de l'immigration pour les pays d'accueil et de l'impact sur le développement des pays de départ, soulignant également la valeur «progressivement contraignante» que représenterait un tel «engagement international». Le même jour, Matteo Salvini annonçait que l'Italie ne signerait pas à Marrakech ce traité, s'en remettant au parlement pour trancher.
Lui aussi, doute du caractère non contraignant stipulé à l'article 7 du traité, où est réaffirmé le «droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales» (extrait de l'article 15, c).
«On ne peut pas dire que le pacte est d'application facultative, puisqu'on va le signer et le ratifier. Même si un certain nombre de ses dispositions sont facultatives, il n'empêche qu'il pose un certain nombre de principes généraux, qui vont ensuite servir de référence pour l'avenir», rappelle ainsi François Asselineau dans son allocution.
Un aspect «non contraignant» particulièrement mis en avant par les médias français amenés à évoquer ce texte, à l'image du Huffington Post ou de Franceinfo, qui adoptent une posture pédagogique pour prendre le contrepied de certaines affirmations lancées sur la Toile à l'encontre du texte.
Un traité qui «s'apparente ainsi à une simple feuille de route,» insistent les journalistes, comme sur BFMTV qui parle d'une «fronde» menée contre le traité «par l'extrême droite». LCI met en avant le fait que sur «certaines pages» des Gilets jaunes, la présentation du Pacte de Marrakech soit «souvent relayée avec un article, ou une vidéo provenance de "riposte laïque". Un site d'extrême droite […] ouvertement islamophobe.»
Dans La Croix, on part sur le «décalage» du discours de Marine le Pen — sur la thématique de l'immigration — «en pleine crise des "Gilets jaunes"». Libération reste de son côté concis et factuel, ne cherchant pas à dissimuler «la lecture positive des migrations».
«C'est toute l'ambiguïté de ce Pacte. Il se présente comme non contraignant, c'est-à-dire qu'il n'oblige pas l'État à légiférer. En même temps, il représente une forme d'autorité morale qui peut créer une pression sur un certain nombre de gouvernements», souligne à notre micro Jean-Paul Gourévitch.
Consultant et spécialiste des migrations, contesté par certains par certains avoir pris la parole dans des cercles très marqués à droite, il est l' auteur de nombreux ouvrages sur les thématiques migratoires, dont Les véritables enjeux de migrations (Éd. du Rocher, 2017) ou La Méditerranée: conquête, puissance, déclin (Éd. Desclée de Brouwer, 2018). Bien qu'il estime que ce traité ne remet pas en cause la souveraineté des États, il fustige un texte «déséquilibré», «vide» et «inapplicable».
«Inapplicable», notamment à cause des pays qui rejettent le texte, tels que les États-Unis, Israël, l'Australie ou le Brésil, par exemple. Les États-Unis furent en effet les premiers à se retirer de l'accord, en décembre 2017, estimant que «l'approche mondiale de la Déclaration de New York est juste incompatible avec la souveraineté américaine», pour reprendre les mots de Nikki Haley, ambassadrice des États-Unis à l'Onu.
En octobre, le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache, avait exprimé devant la presse les réserves du gouvernement estimant notamment que la politique migratoire devait relevé de «la souveraineté et de l'autonomie des États», comme le rapportait alors le Figaro, évoquant la position du Chancelier «des points qui obligent les pays d'accueil que nous voyons de façon très critique», avant de finalement prendre la décision de ne pas signer le traité.
Du côté de nos voisins du Benelux, les Suisses ont fait volte-face et les Belges s'écharpent au point de mettre en péril la gouvernance du pays.
«Ce n'est pas un risque de fracture entre les États qui le refusent et les États qui le signent, c'est un risque de fracture à l'intérieur des États qui le signent, entre les gouvernements qui les ont signés et les associations de défense des migrants et des partis politiques qui pourraient souligner une non-application du texte.»
Car, selon Jean-Paul Gourévitch, le risque est là. Il admet que ce pacte est juridiquement non contraignant et pourrait ne pas être appliqué par «un certain nombre» d'États, évoquant le «précédent» du pacte européen sur l'immigration et l'asile signé en 2008 par les États de l'UE sous l'égide de Nicolas Sarkozy. Pourtant, notre intervenant souligne que les gouvernements des pays signataires pourraient être soumis à des pressions d'organismes de défense des migrants afin de «judiciariser au maximum leurs attaques contre l'État», les poussant ainsi — à terme — à légiférer dans le sens du traité.
Quant au «déséquilibre» du texte, Jean-Paul Gourévitch évoque l'approche positive historique de l'Onu de la question, estimant que l'instance internationale «est sur une volonté de positiver à toutes forces le problème des migrations, sans le prendre dans l'ensemble de ses éléments, qu'ils soient positifs ou qu'ils soient négatifs».
Une volonté de positiver, qu'illustre notamment l'article 8 du traité, où il est noté que «nous reconnaissons qu'à l'heure de la mondialisation, elles [migrations, ndlr] sont facteurs de prospérité, d'innovation et de développement durable et qu'une meilleure gouvernance peut permettre d'optimiser ces effets positifs» des affirmations qui avait d'ailleurs laissé perplexe François Asselineau, dont le parti se fait pourtant peu entendre sur la thématique migratoire.
«L'Onu a compté en positif la contribution des migrants au PIB et n'a absolument pas cherché à compter les dépenses, elle n'a compté que les recettes. C'est déjà un premier problème», souligne Jean-Paul Gourévitch qui perçoit une «erreur extraordinaire» dans la copie des Nations unies.
«L'Onu parle des droits des migrants et des devoirs des pays d'accueil, elle ne parle pas des devoirs des migrants, ni des droits des pays d'accueil et elle parle encore moins des devoirs des pays d'origine et des devoirs des pays de transit.»
Les Nations unies estimaient, fin 2017, à 258 millions le nombre de migrants soit 3,4% de la population mondiale. Une population qui cependant contribuerait à hauteur 9,4% du PIB global, d'après un rapport du cabinet new-yorkais Global McKinsey Institute (MGI) de décembre 2016. Un chiffre systématique repris depuis, notamment par des sites officiels français.
Soulignant que 90% des migrants ont «volontairement franchi les frontières», contre les 10% restant qui constituent les réfugiés et demandeurs d'asile, le rapport de Mckinsey met notamment en lumière l'ampleur des mouvements migratoires entre les pays d'une même zone géographique.
Ainsi, le plus important mouvement migratoire du monde (22,9 millions d'individus) a lieu entre les pays de l'ex-bloc soviétique, suivi de l'émigration latine américaine vers les pays d'Amérique du Nord (22,1 millions), les mouvements migratoires au sein même de l'Afrique subsaharienne (15 millions) ferment le podium. Les principaux pays d'immigration sont ainsi, d'après ce rapport, les États-Unis, l'Allemagne et la Russie et les principaux pays d'émigration l'Inde, le Mexique et la Russie. Des chiffrent qui vont à rebours de certaines perceptions immédiates de la question migratoire en Europe occidentale et centrale.
Cependant, un point que ce rapport dénonce et qui n'est pas souvent rappelé: les migrants qualifiés provenant de pays en développement sont en général — dans les pays développés — payés entre 20 et 30% de moins que les travailleurs locaux.
Un autre point interpelle à la lecture du texte. L'article 33 indique afin de «tenir cet engagement» qu'est — notamment — «l'élimination de toutes les formes de discrimination», les pays signataires du traité s'engagent à «promouvoir une information indépendante, objective et de qualité» en,
«instituant des normes déontologiques pour le journalisme et la publicité et en cessant d'allouer des fonds publics ou d'apporter un soutien matériel aux médias qui propagent systématiquement l'intolérance, la xénophobie, le racisme et les autres formes de discrimination envers les migrants», précise l'article 33c du traité.
S'agit-il de pousser les médias à traiter toute question relative à l'immigration de manière systématiquement positive et à sanctionner tout contrevenant? Clairement oui, pour Laurent Jacobelli, du bureau politique du RN, qui fustige l'institution d'un «délit d'opinion pour ceux qui refusent l'immigration» ou encore «éduquer les médias à parler des bienfaits de l'immigration». Des déclarations que Sud Ouest qualifie de «fausses informations», citant à l'appui de la démonstration le même article du Pacte que dénonçait le cadre frontiste. Simple question d'interprétation?
«Un article complètement contestable» estime pour sa part Jean-Paul Gourévitch, rappelant qu'en partant de bonnes intentions l'on «peut arriver à des effets parfaitement négatifs.» Selon lui, une telle mesure «peut tout à fait contribuer à la désinformation.»
«Les pays qui accepteraient ce principe joueraient contre eux, car on voit bien que lorsqu'il y a une différence — un fossé — entre ce que les médias racontent et ce que les gens vivent au quotidien, les gens n'ont plus confiance en l'information, dans les médias, et on remplace l'information par la rumeur, or il n'y a rien de pire que la rumeur.»
Une rumeur qui renvoie à une autre complication pour l'adoption définitive de ce traité: le calendrier politique. Si, comme le rappelle notre intervenant, le processus ayant mené à ce pacte est enclenché depuis l'automne 2015, cette signature finale tombe plutôt mal. En effet, non seulement la thématique de l'immigration est depuis devenue particulièrement sensible en Europe centrale et occidentale, mais la France fait face à de graves mouvements sociaux depuis plusieurs semaines.
Dans le contexte ce cette grogne, octroyer des moyens et des fonds supplémentaires à l'accueil des migrants pourrait être mal perçu par des classes populaires, qui s'estiment aujourd'hui trop sollicitées — et délaissées — par le gouvernement.
Bien qu'«assez simpliste», notre intervenant estime que cette «équation» pourrait faire «extrêmement mal» sur le plan politique. Notons également que cette signature — et polémique — survient à quelques mois seulement des élections européennes. Si l'Onu ne pouvait pas anticiper les crises qui traversent l'Union européenne, on ne peut pas dire que ce Pacte soit un cadeau pour Bruxelles.