«Cette mesure est injuste, elle va créer une différence de traitement entre les étudiants étrangers et les étudiants français ou européens. Elle va créer une scission sociale dans l'accès à l'université. Ceux qui ont de l'argent pourront venir en France pour étudier et des gens brillants qui ont moins d'argent ne pourront pas payer ces frais et devront rester dans leur pays», s'indigne au micro de Sputnik Coline Mayaudon, étudiante en Droit et ancienne porte-parole du syndicat général des lycéens.
Ces sommes correspondent selon l'exécutif à un tiers du coût réel d'un étudiant en France (le coût moyen d'un étudiant était d'environ 10.000 euros en 2016). Ces tarifs se situent en tout cas bien en deçà des frais d'inscription demandés dans d'autres pays européens (8.000 à 13.000 euros aux Pays-Bas, plusieurs dizaines de milliers de livres en Grande-Bretagne) et sans commune mesure avec les dizaines de milliers de dollars requis pour étudier aux États-Unis ou au Canada.
«Le gouvernement français s'inspire des pays nord-américains, mais cela ne nous ressemble pas. Les étrangers ne viennent pas étudier en France parce que c'est moins cher, ils viennent pour découvrir la culture française et l'enseignement français. L'université française a une spécificité intellectuelle et sociologique. La mixité sociale de l'université française est fondamentale, car elle participe à former des étudiants brillants et à faire rayonner nos universités à l'échelle internationale», estime-t-elle.
Ramata Maïga, une étudiante en master Action publique à l'université Paris-Est Créteil, et originaire du Burkina Faso, confie au micro de Sputnik l'impact que pourrait avoir cette mesure sur sa scolarité.
«Si cette mesure avait été en place lorsque je me suis inscrite à l'université en France, je ne serais pas là aujourd'hui. Il est impossible pour moi de débourser plusieurs milliers d'euros par an pour payer mes frais de scolarité. Mon job étudiant me permet juste de vivre. Moi, je vis avec 3.000 à 4.000 euros pour couvrir mes dépenses de toute l'année», confie-t-elle.
Pourtant, le gouvernement français souhaite augmenter le nombre d'étudiants étrangers dans les universités françaises, pour passer d'environ 300.000 actuellement à 500.000 en 2027.
La mesure du gouvernement s'inscrit dans une stratégie politique d'attractivité mise en place par l'exécutif sous le slogan #BienvenueEnFrance.
Mais ce hashtag ne fait pas l'unanimité dans la classe politique.
Benoit Hamon y a réagi vivement sur Twitter, accusant le Premier ministre de cynisme et de déroger à la vocation d'accueil de l'université française.
Allant dans le même sens, les deux principaux syndicats étudiants à savoir l'UNEF (Union Nationale des Étudiants de France) et la FAGE (Fédération des Associations Générales Étudiantes) s'insurgent contre la mesure annoncée:
La mesure, très impopulaire auprès de ces syndicats étudiants, se justifie aux yeux du gouvernement par le fait que les contribuables français pauvres (mais aussi les riches) paient aujourd'hui la scolarité des étudiants étrangers riches (mais aussi des pauvres).
Le gouvernement français promet par ailleurs la création de 14.000 bourses d'exemption de frais, afin qu'un étudiant sur quatre puisse bénéficier d'une exonération ou d'une bourse et poursuive ses études dans de bonnes conditions financières.
Il met aussi en avant l'amélioration des conditions d'accueil des étudiants que permettra cette augmentation des frais d'inscription: multiplication des cours de français pour étrangers, formalités simplifiées…
Pour autant, certains opposants à cette flambée des droits d'inscription pour les étrangers placent le débat sur le plan politique. Ainsi en est-il de Thomas Kirszbaum, sociologue associé à l'Institut des Sciences sociales du Politique (ENS Cachan):
Rétorquant à l'annonce du Premier ministre, la journaliste brésilienne formée en France Augusta Lunardi, a publié une tribune intitulée «Monsieur le premier ministre, vous ne connaissez pas notre réalité». Elle y décrit les conditions dans lesquelles elle est venue en France pour étudier il y a six ans, en travaillant pour financer ses études, comme de nombreux autres étudiants, qu'ils soient français ou étrangers.
«Si j'ai pu étudier ici, et devenir journaliste, c'est grâce au système universitaire français. Un système public, universel et de qualité,» confie la journaliste brésilienne Augusta Lunardi.
L'étudiante burkinabè Ramata Maïga craint également que la mesure annoncée par le gouvernement soit contre-productive:
«Pour moi, cette mesure vise à réduire le nombre d'étudiants étrangers en France, même si l'annonce du gouvernement prétend le contraire. Cette mesure entend rendre la France plus attractive, mais des frais de scolarité élevés bloqueront l'accès aux étudiants africains. Pour un étudiant togolais ou burkinabè, il est impossible de payer 2.000 euros pour sa scolarité. J'espère que le gouvernement tiendra compte du pays d'origine et fera la différence entre un étudiant canadien et un étudiant venant d'Afrique subsaharienne.»
«Aujourd'hui, cette mesure concerne les étudiants étrangers, mais qui nous dit que cette mesure ne sera pas étendue aux étudiants français dans quelques années?»
Un rapport de la Cour des comptes, commandé par le député LREM Fabrice le Vigoureux, semble lui donner raison. Ce rapport, intitulé «Les droits d'inscriptions dans l'enseignement supérieur public», préconise en effet une hausse des droits d'inscription à l'université pour tous les étudiants, en priorité en master. Ce rapport qui, selon les informations du quotidien Le Monde, doit être transmis dans les prochains jours aux membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale, laisse penser que l'augmentation des frais de scolarité risque de s'appliquer autant aux étudiants étrangers qu'aux étudiants français dans les années à venir.
«Les étudiants étrangers contribuent au pays d'accueil sous un angle social davantage que sous un angle économique. Je regrette que l'aspect économique prime toujours sur les aspects sociétaux et culturels. Certes, le système éducatif français implique que les contribuables financent les études de ceux qui veulent aller à l'université. Mais pour moi, il ne faut pas faire de distinction entre les étudiants français, européens, étrangers. À la fin de leur formation, les personnes qui rentrent dans leur pays permettent aussi de faire rayonner la culture française à l'étranger.»