«Alif» est une performance-réflexion sur le destin de l'écriture tatare. On voit sur scène une expérience corporelle, laconique et profonde, sur la langue tatare, que beaucoup considèrent aujourd'hui comme éteinte.
Dans l'interprétation plastique de Nurbek Batulla, les lettres arabes ne sont pas un arrêt sur image d'une posture inhabituelle, mais un mouvement coulant et en perpétuelle évolution. Le flot est ponctué par les nanosecondes d'immobilité du danseur: la lettre alif ressemble à un bâton vertical ordinaire. Alif, la première lettre de l'alphabet, symbolise l'origine mystérieuse de l'existence.
«La calligraphie arabe dansée, inventé par le chorégraphe Marcel Nuriev, ressemble à une lente danse rituelle. Le sable sous les pieds du danseur forme instantanément des nuages de poussière autour de lui —créant l'illusion que la danse de Nurbek est ancienne, vient du plus profond des siècles,» écrit la critique Anna Gordieeva.
Avant la révolution 1917, la population tatare de la province de Kazan apprenait à lire et à écrire à partir du Coran, rédigé en caractères arabes. En 1927, quelqu'un eut l'idée d'imposer l'alphabet latin et, du jour au lendemain, toute la population devint «analphabète». Cet alphabet fut maintenu jusqu'en 1939, le temps qu'une génération acquière le niveau d'études secondaires. Là, on est passé au cyrillique.
Le metteur en scène Tufan Imamutdinov et le chorégraphe Marcel Nuriev ont lancé le pari de renouer le fil du temps déchiré par la volonté politique.