Si l'Europe doit faire face ces dernières années à une crise migratoire majeure, c'est aussi le cas en Amérique. Après l'exode massif de vénézuéliens, un second phénomène agite actuellement le nord du continent et plus précisément les États-Unis et le Mexique: des «caravanes» de migrants partis du Honduras pour rejoindre le sol américain.
Depuis 2013, entre 1,6 et 4 millions de vénézuéliens auraient émigré pour fuir une situation économique chaotique, une inflation de 2.616% sur l'année 2017 et une débâcle des institutions de l'État, provoquant un des plus importants mouvements de population dans l'Histoire du continent.
Pour autant, d'autres foyers de crise se sont embrasés ces derniers temps, bien qu'ils aient été masqués par l'ampleur de l'exode vénézuélien. C'est le cas du Honduras, dont les populations ne migrent pas vers la Colombie ou le Brésil, mais vers les États-Unis.
Ce sont ces migrants venus du Honduras qui forment, selon l'Onu, la majorité des près de 7.000 personnes qui forment la «caravane» qui se dirige vers la frontière américaine à pied et qui a provoqué l'ire de Donald Trump.
«C'est un assaut contre notre pays, un assaut», s'est emporté le Président des États-Unis lors d'un meeting à Houston, au Texas.
Les États-Unis, inquiets, avaient dès le 11 octobre organisé une réunion entre Mike Pompeo, le Secrétaire d'État américain, et des représentants du Honduras, du Guatemala, du Salvador et du Mexique, au cours de laquelle Washington avait souligné la nécessité de contenir le phénomène migratoire.
Mais les résultats ne semblent pas au rendez-vous, ce qui n'a pas manqué d'irriter le locataire de la Maison blanche. Dans un tweet du 22 octobre dernier, le Président américain a annoncé mettre un terme aux aides accordées aux pays du «triangle d'or» (Guatemala, Honduras, Salvador).
Le Guatemala, le Honduras et le Salvador n'ont pas été capables de faire leur travail et d'empêcher les populations de quitter leur pays et de venir illégalement aux États-Unis. Nous allons maintenant couper ou du moins réduire drastiquement les aides que nous leur accordons.
Une stratégie qui pourrait s'avérer être contre-productive. Sputnik s'est intéressé de près au phénomène migratoire hondurien et a interrogé Rodolfo Pastor, candidat malheureux à l'élection présidentielle de 2017 et porte-parole de l'Alliance de l'opposition contre la dictature au Honduras. Il en ressort que la fin des aides de Washington pourrait aggraver les raisons de l'émigration.
A en croire Rodolfo Pastor, il y a trois causes majeures à l'exode des Honduriens vers les États-Unis: le manque d'opportunités — qui se traduit par une précarité économique —, l'inefficacité de l'État et les ingérences américaines dans la politique de ce petit pays d'Amérique centrale.
«Les Honduriens sont un des peuples qui souffre le plus en Amérique centrale. Comment ne serait-ce pas compréhensible qu'ils émigrent à la recherche d'opportunités qu'ils n'ont pas dans leur pays?»
Le candidat de l'opposition à la présidentielle de 2017 dénonce «des problèmes endémiques de pauvreté et d'inégalités» et un «mal-être généralisé au sein de la population», dont plus de 40% vit sous le seuil de pauvreté, avant d'ajouter:
«Ce sont des gens qui voient comment une classe privilégiée vit de leur misère et c'est quelque chose qu'ils refusent. De l'opposition politique jusqu'à la population en général, on chante […] contre un système qui les a maltraité.»
Ce système que dénonce Rodolfo Pastor, c'est celui dont bénéficie le Président Juan Orlando Hernandez, JOH comme l'appellent les Honduriens. C'est ce système qui est, de l'avis de Rodolfo Pastor, à l'origine de «la décomposition du système politique» et de «l'instauration d'un régime autoritaire […] presque dictatorial».
«La migration en provenance du Honduras s'est accélérée parallèlement à la détérioration institutionnelle et économique du pays. On observe une augmentation du niveau de violence sociale, du nombre de violations des Droits de l'Homme, d'assassinats de journalistes et d'activistes. On peut voir une chronologie de la détérioration», analyse Pastor.
En poste à l'ambassade du Honduras à Washington lors du coup d'Etat de 2009, il explique être devenu ambassadeur de facto puisque son prédécesseur «s'était prononcé en faveur du coup». Plus récemment, il dénonce la décision des États-Unis de reconnaître la victoire de Juan Orlando Hernandez alors que l'Organisation des États américains (OEA) faisait état «d'irrégularités, d'erreurs et de problèmes systémiques» lors des élections et déclarait ne pas pouvoir «avoir de certitudes quant aux résultats».
«Il y a eu un spectacle médiatique où la responsable du commerce de l'ambassade américaine au Honduras, Heide Fulton, s'est affichée en compagnie du président du Tribunal supérieur électoral, David Matamoros, pour dire publiquement que le processus avait été juste, que les résultats étaient corrects et que [les États-Unis, ndlr] soutenaient la réélection de Juan Orlando Hernandez», assure Rodolfo Pastor.
Si l'émigration hondurienne a certes augmenté ces dernières années, ce n'est pas un phénomène récent et le fait de se déplacer en «caravanes» ne l'est pas non plus. Les grands groupes protègent leurs membres du crime organisé et de la violence sur la route.
Mais s'ils sont, en «caravanes», moins vulnérables face à la violence, ils posent un réel défi au Mexique, qui se trouve sur la route menant aux États-Unis et qui hésite sur la politique à adopter vis-à-vis de ces groupes. C'est en tout cas le constat qu'ont pu faire nos collègues de Sputnik Mundo sur place.
Il affirme qu'alors qu'un accord pour permettre à la précédente «caravane» de traverser le pays avait pu être trouvé en octroyant un visa humanitaire d'un an à ses membres, cette fois-ci, Mexico n'est pas disposé à offrir une solution autre qu'une demande d'asile au Mexique et dénonce des pressions de Washington:
«J'ai été arrêté pour essayer de calmer un peu la situation. Il y a eu pas mal de pression des États-Unis. Ils ne veulent pas que je rejoigne cette caravane», déclare Irineo Mujica.
Le bénévole explique qu'il est très sollicité par ces «caravanes», principalement pour des cas de déshydratation, de malnutrition et de manque de médicaments contre des maladies chroniques (hypertension et diabète par exemple) et que, selon lui, «beaucoup de gens se mettent en danger».
«J'ai peur qu'au fil des jour, quand ils arriveront à la frontière après avoir parcouru 3.000km, sans argent, sans nourriture et sans médicaments, dans des villes extrêmement dangereuses, ils deviennent de la chair à canon», observe Carlos Betanzos.
La caravane poursuit sa route vers la frontière américaine, mais au vu des déclarations de Donald Trump, rien ne dit qu'elle y parvienne.