«J'ai découvert la présence d'un lobbyiste qui n'était pas invité à cette réunion. C'est symptomatique de la présence des lobbies dans les cercles du pouvoir. Il faut poser ce problème sur la table, parce que c'est un problème de démocratie. Qui a le pouvoir? Qui gouverne?» s'est indigné Nicolat Hulot le 28 août 2018, en annonçant sa démission au micro de France Inter.
Hulot en parlait, Macron l'a fait. Dans le cadre du remaniement ministériel du 16 octobre, Emmanuelle Wargon, ancienne directrice des affaires publiques et de la communication de Danone, a remplacé Sébastien Lecornu au poste de «secrétaire d'Etat auprès du ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire». Elle n'est pas la seule à avoir pratiqué ce qu'on appelle en jargon politique le «rétro-pantouflage», c'est-à-dire le retour dans le secteur public après un passage dans le privé. Cette pratique pose la question de possibles conflits d'intérêts, sinon sur le plan légal, au moins d'un point de vue moral.
«Les lobbies ne sont plus aux portes du pouvoir: ils sont au pouvoir», dénonce Alexis Braud, l'assistant parlementaire de l'eurodéputé Yannick Jadot du parti Europe Écologie Les Verts (EELV) au micro de Sputnik.
Quelques autres cas pratiques de rétro-pantouflage:
Muriel Pénicaud, aujourd'hui ministre du Travail, était par exemple directrice générale adjointe de Dassault Systèmes, puis directrice générale des ressources humaines de… Danone, là encore.
Brune Poirson, également secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, était auparavant directrice du développement durable chez Veolia. Jusqu'au Premier ministre Édouard Philippe lui-même: il était le directeur des affaires publiques du groupe nucléaire Areva de 2007 à 2010, et il a voté contre la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, et contre la Loi pour la reconquête de la biodiversité.
«Cette situation n'a rien d'une nouveauté, puisque les lobbies sont consubstantiels à Emmanuel Macron. Ce qui est nouveau, c'est que cela se fait désormais sans complexe», renchérit Alexis Braud.
Au milieu de tous ces lobbyistes, et alors que Danone est classée parmi les 25 entreprises françaises qui impactent le plus les écosystèmes mondiaux, Emmanuelle Wargon saura-t-elle distinguer les intérêts de son ancien employeur de l'intérêt général de ses concitoyens et de la biosphère qu'elle est censée défendre?
Les indices que fournissent certaines déclarations de cette camarade de classe d'Édouard Philippe à l'ENA, alors qu'elle était encore directrice des affaires publiques et de la communication de Danone, laissent en tout cas dubitatifs:
«L'huile de palme, on en a besoin pour les laits infantiles. Pourtant c'est un ingrédient qui fait l'objet de plus en plus de méfiance pour des raisons environnementales à cause des ravages que cela peut causer dans certaines parties du Sud-Est asiatique. Pourtant, l'huile de palme est le meilleur ingrédient pour les laits infantiles. On en a besoin, et l'on est tout à fait capable d'expliquer pourquoi.»
Elle s'est défendue depuis, en affirmant que son ministère préparait une «stratégie de lutte contre la déforestation importée» (c'est-à-dire contre l'importation de produits conçus par des pays pratiquant la déforestation).
Toujours est-il que sa défense de l'huile de palme comme composant irremplaçable dans le lait infantile tombe très bien pour Danone. En effet, le marché de la nutrition infantile et médicale comptait en 2016 pour 26% du chiffre d'affaires annuel de la multinationale française.
Heureux hasard, la campagne «Programme Malin» de Danone —visant à délivrer des conseils nutritionnels et de la nourriture infantile à des familles pauvres- a reçu en septembre 2018 un soutien du gouvernement français. Selon l'entreprise, 10.000 familles ont déjà souscrit à ce programme depuis 2012. Cela permettra sans doute à leur «délicieux yaourt enrichi en fer, zinc, iode et vitamine A», objet d'une campagne massive au Bangladesh et déjà consommé par 300.000 enfants, de voir ses ventes décoller…
On attend en tout cas avec intérêt les prises de position de la Secrétaire d'État sur les pollutions au plastique, alors que Danone serait le 4e plus gros pollueur en plastique au monde après Coca-Cola, Pepsi et Nestlé, selon une étude menée au nom de la campagne Break Free From Plastic.
Lorsque l'on sait que la COP21 de 2015 à Paris a été financée par «les plus grands pollueurs français» (étude de CEO, ATTAC, AITEC, TNI et Observatoire des multinationales), il y a fort à parier que Danone n'aurait pu rêver meilleure ambassadrice au poste de secrétaire d'État au ministère de la Transition écologique.