Francophonie, les arrière-pensées de Macron dans son soutien au Rwanda

Comment interpréter le soutien français à la candidature de la ministre des Affaires étrangères rwandaise à la tête de l’organisation de la francophonie? Un coup de pouce sans lequel Louise Mushikiwabo n’aurait pas été désignée. Opération séduction? Réconciliation? Ou simplement l’envie de faire des affaires avec le Rwanda?
Sputnik

Françafrique ou pas, les dirigeants africains n'auraient probablement jamais pu parler d'une seule voix, ce vendredi 12 octobre, si celle-ci n'était le fidèle écho de la sentence française.

Preuve s'il en est, le consensus des chefs d'État et de gouvernement membres de plein droit de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), où les Africains représentaient une belle moitié, boudait, en novembre 2014, quatre candidatures africaines pour se reporter sur celle de la Canadienne Michaëlle Jean.

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Certes, le CV de la brillante ex-gouverneure générale du Canada plaidait largement pour elle. Qu'elle fût une femme aussi, alors que l'organisation n'avait été dirigée jusqu'alors que par des hommes. Le fait qu'elle soit une Canadienne, «issue de la diversité», comme on dirait en France, était l'ingrédient compensatoire pour prétendre à ce poste que la volonté française avait initialement conçu comme domaine réservé du tiers-mondisme. Restait un petit détail, la petite recommandation du Président français d'alors, François Hollande, rappelant les «réussites incontestables» de Michaëlle Jean, qu'il ne fallait surtout pas interpréter comme l'expression d'un quelconque soutien…

Vendredi 12 octobre 2018, en tout cas, les Africains ont retrouvé leur propension à parler d'une seule voix pour soutenir une candidature africaine. Comment est-il possible d'en être autrement, d'ailleurs, se demande presque Ali Bongo, dont le régime est rarement cité en exemple de vassalité françafricaine.

«Le Gabon, à ce que je sache, fait partie de l'Union africaine, donc le Gabon va aussi soutenir une fille du continent, la Rwandaise Louise Mushikiwabo, à la tête de l'OIF», déclarait Ali Bongo, en africaniste convaincu.

Bongo est surtout connu pour être un fossoyeur de mandats reconductibles, comme en l'espèce. En 2012, au terme d'un deal avec l'Afrique du Sud de Jakob Zuma, il mena campagne contre son propre compatriote et non moins ex-beau-frère, Jean Ping, l'empêchant ainsi de briguer un second mandat à la tête de la Commission africaine. Un but contre son propre camp, tout comme Justin Trudeau, qui retira sa confiance à Michaëlle Jean pour soutenir la candidature rwandaise.

«C'est l'un des termes d'un deal plus global en échange d'une promesse de Macron de soutenir le Canada dans sa conquête d'un poste permanent au Conseil de sécurité», précise Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).

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Techniquement, l'Afrique n'aurait pu parler d'une seule voix, ce jour-là, s'il n'y avait cette recommandation de l'UA, en juillet dernier, à Nouakchott, demandant aux 55 États membres de soutenir la candidature rwandaise.
Politiquement, le Président rwandais Paul Kagame n'aurait pu faire cette demande, en sa qualité de président de l'UA, s'il ne s'en était entretenu avec Emmanuel Macron, à l'occasion de son passage à Paris, deux mois plus tôt.

Logiquement, enfin, le Président de la République française n'aurait accédé à cette demande ni persuadé le Premier ministre canadien s'il n'avait pas de raisons valables de le faire. Elles sont au nombre de trois, d'après Emmanuel Dupuy.

En 2018, deux Afriques se font encore face, en chiens de faïence. Une Afrique émancipée, portée par un élan progressiste, revendiquant son identité et aspirant à une meilleure maîtrise de sa politique de développement et d'éducation. Une autre Afrique, ensuite, qui tirant vers l'arrière, en ce qu'elle reste largement imprégnée par les rapports de domination et un cadre mental hérité de la colonisation. Sur le plan politique, et abstraction de tous les reproches qui peuvent lui être adressés, y compris les plus graves, le Président rwandais, Paul Kagame, est assimilé au premier courant.

«La première explication de ce soutien français, et qui s'analyse davantage comme une raison "collatérale", est que Macron voudrait s'arroger les bonnes grâces du Président Kagame, également président de l'UA et initiateur de réflexions intéressantes autour du changement africain, à travers, par exemple, l'instauration d'une zone de libre-échange continentale (ZLEC), approuvée en mars dernier par 44 États membres de l'UA» estime Emmanuel Dupuy.

Au-delà du statut africain du Président rwandais, au demeurant éphémère sur le plan institutionnel, la France chercherait à promouvoir «une vision décloisonnée de l'Afrique», au-delà de la ligne de fracture séparant l'Afrique francophone, supposée sous sa coupe —à l'exception de la République démocratique du Congo (RDC) et du Burundi encore sous influence belge- du reste du continent. Une logique économique donc, et en la matière le Rwanda dispose de sérieux atouts.

«Le Rwanda est une nation start-up africaine, caractérisée par l'émergence d'une nouvelle classe d'entrepreneurs et une capacité d'attractivité très forte. Ce pays est devenu un véritable hub d'activités de hautes technologies, si bien que de nombreuses multinationales passent par ce pays d'Afrique de l'Est.
En amont, il y avait toute une réflexion qui s'était engagée depuis des années sur la numérisation et la libéralisation commerce. Bref, c'est l'Afrique rêvée pour Marcon. D'autant plus qu'elle se situe, contrairement à d'autres pays, en dehors de la zone d'influence anglo-saxonne ou francophone d'ailleurs», analyse Emmanuel Dupuy pour Sputnik.

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Jusqu'au début des années 90, pourtant, Kigali naviguait bien dans l'orbite française. Alors que la solution finale contre les Tutsis était en exécution, le gouvernement génocidaire hutu était reçu, avec tous les honneurs, à Paris. La part de responsabilité française avant, pendant et après le génocide a souvent été pointée par Kigali, mais aussi par de certaines personnalités françaises. En 2010, le Président d'alors, Nicolas Sarkozy, reconnaissait de «graves erreurs», sans présenter pour autant des excuses.

«Il y a clairement la volonté, chez Macron, d'apaiser un tant soit peu les tensions avec le Rwanda. Après, il n'est pas certain non plus que l'état de l'opinion française soit mûr pour reconnaître la pleine culpabilité de la France à l'époque du génocide, en 1994. La responsabilité française dans les événements ayant abouti au génocide rwandais mérite un vrai travail historique et ne doit pas être érigée en procès politique.
Les responsabilités sont partagées d'autant plus que les dirigeants du parti FPR (Front patriotique rwandais), partie prenante aux événements en chassant les Hutus génocidaires du pouvoir en 1994, sont toujours aux manettes. Au-delà, la réconciliation est difficile à mettre en place parce que ça réveillerait des tensions politiques internes à la vie politique française.
Le génocide s'est passé en pleine cohabitation, et il y avait une différence d'appréciation, alors, entre la Présidence, de gauche, et le gouvernement, de droite. Alors, réveiller cela aujourd'hui, ça peut ouvrir des plaies entre les deux pays, mais aussi entre droite et gauche, alors que Macron veut, justement, se poser en rassembleur. Le soutien à la candidature rwandaise est une bonne chose, un geste fort. C'est un premier pas. Aller plus loin obligerait la France et le Rwanda à ouvrir ensemble ce dossier douloureux», recommande le président de l'IPSE.

Trois jours avant la nomination de Louise Mushikiwabo, le Parquet de Paris demandait l'abandon des poursuites contre des proches du Président Kagame, soupçonnés, depuis vingt ans par la justice française d'implication dans l'attentat de 1994, qui a déclenché le génocide des Tutsis. Coïncidence?

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