Du sommet de la francophonie qui se tient à Erevan, on ne reçoit dans les médias européens que des bribes politisées: qui de la Canadienne Michaëlle Jean ou la Rwandaise Louise Mushikiwabo gagnera la course à la direction de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF)? L'Arabie saoudite présentera-t-elle sa candidature et sinon, pourquoi?
Mais quel est le vrai visage de la francophonie aujourd'hui? Est-elle vraiment inutile comme prétend le maire de Québec, Régis Labeaume, qui critique l'OIF et juge l'organisme inutile? Se résume-t-elle essentiellement à servir de paravent à des démarches politiciennes ou de locomotive pour les intrusions du soft Power de la France dans la vie d'anciennes colonies?
Daniel Maximin, poète et écrivain, grand ami d'Aimé Césaire, nous rappelle à cette occasion les vraies sources de la francophonie et sa vraie destinée:
«La francophonie d'aujourd'hui couvre tous les endroits où par la conquête, la France a imposé sa langue, sa force, sa culture, sa puissance, et où au XX siècle il y a eu des mouvements de décolonisation.»
Pour lui, «celui qui se bat, utilise l'une des armes empruntées à l'oppresseur pour le combattre.» Et c'est ainsi que les colonisés, «comme ses parents», se sont approprié la culture française, sa pensée, sa poésie, sa musique, sa littérature la philosophie des Lumières, pour lutter contre l'oppresseur.
«Ainsi, la francophonie se transforme-t-elle en armes de la liberté,» affirme Daniel Maximin.
Pour Daniel Maximin, la francophonie est née «par la culture, par la poésie des gens qui étaient colonisés». Rien de pragmatique dans sa naissance: les gens ont d'abord décidé de libérer l'Europe, tous les colonisés français ont participé à la libération de l'Europe contre le nazisme, depuis l'Océanie jusqu'aux Antilles.
«Ils ont libéré l'Homme et ont décidé de rester ensemble pour continuer la libération du monde. Cette libération de ce que l'on a appelé le tiers-monde, cette libération dure et violente, a été la suite logique [de la Seconde Guerre mondiale, nldr]», affirme M. Maximin.
Pour le poète, la liberté n'appartient pas à la Déclaration des droits de l'Homme signé en France en 1789. Elle appartient à tous ceux qui y travaillent.
«Lutter pour l'indépendance de son pays contre la France, c'est lutter au nom des Droits de l'homme écrits en français,» dit Daniel Maximin.
«Comment peut-on comprendre le créole, disait jadis Aimé Césaire, si on ne tient pas compte que c'est une langue formée avec des débris des mots français restitués par des gosiers selon les règles implacables de la phonétique africaine, agglutinés entre eux selon les règles de syntaxe africaine? Si on ne veut pas rester à la surface des choses, il faut revenir à ce fait premier que nous sommes, mélangés certes, des Africains de la diaspora.»
Et cette idée est toujours défendue par son ami Daniel Maximin dans son développement universel:
«Les gens se battent dans une langue qui est devenue la leur. Une langue appartient à celui qui l'écrit. Un livre, un poème, un roman que j'écris n'appartient pas à la France, encore moins à l'État français ou aux colonisateurs. C'est contre les colonisateurs que toute [notre] littérature s'est fabriquée.»
Il y a quelques jours, Libération a publié un article où la romancière nigériane Chimamanda Ngozi Adichie racontait la violence subie par la population anglophone du pays. Pour Daniel Maximin, cela n'a rien à voir avec la langue, c'est un problème politique d'oppression de groupes. «Parfois, la langue peut être prise comme prétexte, affirme l'écrivain. On a tué beaucoup de gens dans le monde parce qu'on les obligeait à parler telle ou telle langue. Les réalités et les questions du pouvoir ne sont pas des problèmes de langue et des problèmes d'oppression. Ce n'est pas un conflit entre la langue française et la langue anglaise.»
«En Afrique, en Amérique, nous sommes entourés des cousins qui parlent anglais, dit Daniel Maximin, on n'a pas à se battre contre l'anglais, mais à s'associer à lui.»
Pour lui, il faudrait regarder le Nigeria ou l'Afrique du Sud, des pays où l'anglais est la langue nationale. «Depuis le début, nous sommes en alliance avec nos cousins d'Amérique du Nord, on traduit leurs œuvres», positive l'écrivain. «Ceux qui disent que la francophonie existe pour s'opposer à l'anglais devraient réfléchir et comprendre que les gens sont suffisamment grands pour savoir ce qu'ils veulent faire, même s'ils n'y arrivent parfois pas.»
«Ce que je récuse, c'est l'idée que "la France décide, la France commande". Les autres ne sont pas les "bébés colonisés" qui obéissent aux grands chefs français,» martèle Daniel Maximin.
Tout en admettant que la pression géopolitique de l'État français existe, l'écrivain reste persuadé que «c'est quelque chose de très néfaste que d'imaginer que les autres pays ne sont rien d'autre que des espèces de bébés en train d'écouter des ordres.» Pour lui, le choix de Louise Mushikiwabo à la tête de l'OIF, originaire du Rwanda qui a subi les horreurs d'un génocide pourrait renforcer «une idée commune des pays africains, notamment du bassin du Congo, où les violences ne s'arrêtent pas», et qu'elle pourrait devenir «quelqu'un qui représenterait un avenir différent, en devenant la représentante de l'ensemble des francophones.»
Pour Daniel Maximin, il y a eu des Présidents africains qui ont joué un grand rôle dans la politique française: «il ne faut pas croire que sous prétexte que c'est un pays africain, il devient automatiquement une "marionnette" du grand capital, de l'État, de Macron, de Mitterrand ou de De Gaulle.» Par contre, pour l'écrivain, les membres de l'OIP devraient s'abstenir de batailler «à l'intérieur de la francophonie», pour unir les efforts contre celui qui vous opprime. Et ils ne doivent pas baisser la garde:
«La francophonie n'a pas été voulue par la France, qui était contre le fait que les anciens colonisés se mettent ensemble. Au début, ils voulaient faire des "États-Unis d'Afrique".»
Daniel Maximin écarte les bras dans un geste d'impuissance: «C'est de la géopolitique. Les écrivains ne sont pas au fait de toutes ces choses». Mais au vu de toutes les paroles qu'il a déjà prononcées, on sait que derrière l'image du poète errant dans son monde imaginaire, se cache une grande force de conviction.