Les vignes s'habillent de rouge, les lambeaux de brouillard recouvrent les champs fanés, les terrasses des cafés s'encombrent de chauffage… la saison touristique est finie. Finie la course enfarinée pour charmer le «consommateur de produits touristiques», fini les solutions innovantes et les boutiques des souvenirs de bord de mer, les derniers vacanciers rentrent chez eux, secouent leurs espadrilles pleines de sable et rangent leurs serviettes de plage…
Pourtant, il y a des sites qui n'en peuvent plus de voir les touristes arpenter leurs rues! «Le tourisme est l'industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux,» disait Jean Mistler. Il a de plus en plus de réfractaires au tourisme dans le monde… Florilège:
Corse
Tout début septembre, le mouvement nationaliste Corsica Libera a émis l'idée de mettre en place de quotas de fréquentation touristique pour les sites sensibles. Les îles Lavezzi avec leurs 350.000 personnes par an, «dont environ 45.000 sur la seule première quinzaine du mois d'août», sont l'exemple flagrant de ce phénomène. Pour les politiques, ce flux touristique massif dans la zone pose des problèmes environnementaux.
La proposition a créé un véritable choc chez les admirateurs de l'île de Beauté. Rien n'est décidé encore, mais plusieurs collectivités, mairies, conservatoires du littoral, parcs naturels régionaux ou collectivités de Corse réfléchissent à la façon de mieux canaliser le «surplus» de touristes. Résultat: vers la fin de septembre, l'Assemblée de Corse demande à l'Office de l'Environnement de la Corse et le Parc naturel de Corse «d'entamer une réflexion» pour proposer les solutions.
U #turisimu hà bisognu di regule per parà a pupulazione da certe cunsequenze liate à a frequentazione di i so lochi, per parà dinù i prufessiunali di i quelli chì volenu simpliciamente fà furtuna strughjendu u bè cumunu. Aghju postu una muzione per a messa in ballu di quotà. pic.twitter.com/I7igRm7VAk
— Jean-Guy Talamoni (@JeanGuyTalamoni) 20 сентября 2018 г.
Cette proposition ne suscite pas l'unanimité sur l'île. Jean-Charles Orsucci, Maire de Bonifacio n'hésite pas à donner son avis, en relativisant l'étendu du problème et optant plutôt pour la modernisation des infrastructures.
Ce n’est pas en fermant les sites et en mettant des barrières qu’on va trouver les bonnes solutions ! Il faut être réactif et imaginatif.
— Jean-Charles ORSUCCI (@OrsucciJC) 24 сентября 2018 г.
Le vrai problème, ce sont nos infrastructures qui sont obsolètes parce que, depuis 40 ans, nous n’avons pas fait le nécessaire. https://t.co/uq7yBDutVV
Mais le temps que les élus statuent, les professionnels préparent déjà la saison prochaine, sans oublier le tourisme durable:
AppeBike est invité à Perpignan par @greenpyrenees pour participer au #GPSTourism 🌎
— AppeBike (@appebike_corse) 2 октября 2018 г.
Une table ronde avec la Catalogne, Bretagne & Occitanie pour partager les impacts de notre action en Corse & développer un #tourisme durable dont la #mobilite douce est la pierre angulaire 🚲🌳 pic.twitter.com/eL0QMo1PDp
Venise
Cela fait un moment que Venise «cherche un équilibre» face à la fréquentation touristique grandissante. Près de 30 millions de touristes se rendent à Venise chaque année et, sur la lagune, les prix explosent. Les rues sont envahies de touristes, les actes d'incivilité se multiplient, les commerces de proximité ont été remplacés par des boutiques de souvenirs. Du coup, étant donné qu'instaurer le quota touristique équivaudrait à tuer la poule aux œufs d'Or, la municipalité cherche une solution en élargissant l'offre touristique en direction de Mestre, ville-jumelle de la Cité des Doges. En décembre, on inaugure ici un musée présenté comme «entièrement multimédia»: le M9. Il est désormais plus facile de trouver un logement «sur le continent», puisque l'offre AirBnB s'y développe à pas de géant. Même les populations locales et les visiteurs du centre historique ne restent pas indifférents, en multipliant les initiatives pour rendre à Venise sa vie de tous les jours, comme le fait, par exemple, Kateřina Šedá, une Vénitienne d'adoption:
Le tourisme de masse vole l'âme des centres historiques. Kateřina Šedá, conservateur du pavillon tchèque et slovaque à Venise nous parle du projet UNES-CO, une recherche qui étudie la surpopulation touristique et la vidange des centres-villeshttps://t.co/f3W9fHzEme via @DomusWeb
— Carlo De Nuzzo (@Carlo_De_Nuzzo) 31 августа 2018 г.
En plus, il y a à peu près un an, la municipalité a pris la décision de tenir les grands paquebots de croisière à l'écart:
#GrandiNavi:soluzione condivisa con @RegioneVeneto e #Governo. Grande risultato dei cittadini veneziani. Video: https://t.co/isI77iyp7opic.twitter.com/edIdBK6M4x
— Luigi Brugnaro (@LuigiBrugnaro) 7 ноября 2017 г.
On attend que la Sérénissime respire!
Barcelone
Si Venise semble sortir de l'impasse, la capitale catalane souffre toujours de la surpopulation due aux bateaux de croisière. Les habitants de la ville ayant fait leurs armes dans les manifestations indépendantistes sont descendus cet été dans la rue pour scander le slogan-choc «Tourists go home, refugees welcome». Environ 500 personnes ont manifesté dans le quartier côtier de la Barceloneta fin août, même un groupe du rap en vogue a participé au mouvement:
TOURISTS GO HOME AND REFUGEES WELCOME! ⛺ pic.twitter.com/K1Rzm4xf1f
— Ezetaerre (@ezetaerre) 4 июля 2017 г.
Avec sa population de 1,6 million d'habitants, Barcelone accueille 32 millions de touristes par an, de quoi bonder à craquer les sites les plus fréquentés tels que la Rambla, le parc Gouel ou La Sagrada Família. Visiblement, certains citadins craignent les touristes presque plus que les islamistes, puisque le slogan « tourists you're the terrorists» s'est également fait entendre.
'Refugees Welcome. Tourists Go home' graffiti spreads across Europe — https://t.co/1lf3gKvhYHpic.twitter.com/w2xhCcvZQd
— Travindy (@travindy) 21 апреля 2016 г.
La mairie se défend comme elle peut, gouvernée par l'ancienne militante du droit au logement Ada Colau. Il y a déjà trois ans déjà, la municipalité a interdit l'ouverture de nouveaux hôtels dans le centre-ville. Mieux encore, elle a instauré une sorte de «quota déguisé»: les hôtels qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation doivent diminuer leur nombre de chambres. Les leaders du logement alternatif, Airbnb et HomeAway, ont dû payer des amendes de 600.000 euros pour avoir accepté des annonces d'appartements qui n'avaient pas la licence nécessaire. Ce qui n'empêche pas à ces plateformes de réservation d'élargir leur champ d'action et d'engager de «jeunes cadres dynamiques» pour ce faire:
Customer Experience Specialist for Airbnb https://t.co/B1aROIX4K0#Barcelona
— Trabajo con Idiomas (@ESlanguagejobs) 4 октября 2018 г.
C'est bien là que réside le problème principal: un excès de touristes empiète sur la vie des citadins… À qui ils donnent du travail.
Dubrovnik
Et puis, il y a cette petite ville croate, prisée depuis des décennies, ravagée par la guerre, comme un phénix, ressuscitée de ses cendres… mise en danger par une autre «guerre», fantastique cette fois-ci. Lieu de tournage important de Game of Thrones, Dubrovnik fait les frais du tourisme de masse. 4,2 millions de touristes par an emplissent des ruelles étroites de cette ville, où les 43.000 habitants ne savent plus où donner la tête.
If you’re keen to follow in the footsteps of Frodo Baggins 👣, or to escape to Tyrion Lannister's Dubrovnik ⛰, then this book is for you!
— Oxfam Shop Helmsley (@HelmsleyOxfam) 4 октября 2018 г.
This book reveals the location of over 100 famous scenes from Indiana Jones, Star Wars, Game of Thrones and many more popular films 🎬🎥 pic.twitter.com/sDVmQBHpdD
Et si les agences de voyages et les médias font leur beurre sur le dos des fans de la série culte, l'Unesco menace de retirer son patronage à la Perle d'Adriatique si les autorités locales ne plafonnent pas les entrées quotidiennes. Cette missive a poussé le maire Mato Frankovic à reprendre ses esprits et à annoncer son intention d'abaisser le quota à 4.000 personnes par jour. Comment va fonctionner ce système? À coup de portes, de fortifications et de pont-levis?
Les navires de croisière —toujours eux- hormis les taxes portuaires, n'apportent que des miettes à l'économie locale. Effectivement, les clients de ces expéditions gigantesques et «all-inclusive» dépensent très peu dans les restaurants ou les magasins sur place. Et si la ville pourrait un jour retrouver un semblant de calme, ce sera peut-être grâce à la limitation du nombre de touristes, débarqués des grands paquebots:
Dubrovnik to tackle #overtourism by capping cruise ships to two per day https://t.co/q6lsBwgRDi@lennicoffey
— Travel Foundation (@travelTF) 4 октября 2018 г.
Chaque jour, seuls 5.000 d'entre eux peuvent désormais profiter de l'hospitalité de Dubrovnik.
À partir de l'été 2019, le Mont-Blanc n'accueillera que 214 alpinistes par jour. Amsterdam augmente les taxes de séjour jusqu'à dix euros par nuit et interdits les hôtels flottants. À Venise, on a installé au pied de deux ponts du centre historique deux portiques pour contenir le flux des touristes (démontés aussitôt par les activistes). Santorin limite la fréquentation à 8.000 touristes par jour, sous contrôle de caméras. Et l'Île de Pâques interdit aux touristes de passer plus de trente jours sur place.
Alors, arrivera-t-on à endiguer la frénésie touristique? Notre frénésie touristique? Et si on imaginait une sorte de l'« éducation touristique » pour là aussi, changer les habitudes de consommation?