En Tunisie, le parti islamiste «Ennahda s’est lavé les mains de Béji Caïd-Essebsi»

Grandes manœuvres politiques en vue de la présidentielle en Tunisie! Comme l’avait prévu Sputnik, le Président Caïd-Essebsi a rompu les liens avec le parti islamiste Ennahda. Entre recomposition politique et appétits personnels, les couteaux sont tirés entre le parti présidentiel et ses rivaux… et au sein même de la formation présidentielle.
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Sputnik l'annonçait dès août dernier, c'est officiel depuis une interview télévisée de Béji Caïd Essebsi, ce lundi 24 septembre: le Président tunisien a annoncé sa rupture avec les islamistes d'Ennahda, associés au pouvoir peu après son élection en décembre 2014.

«Nous avons travaillé pendant cinq années avec Ennahda. Du 15 août 2013 jusqu'à la semaine dernière. […] La semaine dernière, on a décidé de rompre. C'était à leur demande. […] Il n'y a plus de consensus entre Ennahda et Béji Caïd Essebsi. Ils se sont lavé les mains de moi», a déclaré le Président tunisien sur la chaîne Elhiwar Ettounsi, sans préciser les motifs de cette rupture.

Le Président tunisien confirme la tenue des élections en 2019
Prenant pour cadre formel le «Pacte de Carthage», qui réunit sous le haut patronage du Président une dizaine de partis et d'organisations nationales, la politique du consensus qui anime le gouvernement d'union nationale a été mise à rude épreuve par une crise politique qui s'enlise depuis des mois.

Le soutien politique que Nidaa Tounes, le parti présidentiel, apportait à Youssef Chahed, issu de ses rangs, s'est peu à peu effrité sur fond de graves dissensions entre le Chef du gouvernement, nommé en août 2016, et le directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd-Essebsi, fils du Président.

Tous les poids lourds du Pacte de Carthage ont progressivement opté pour le remplacement de Chahed, arguant de résultats «insuffisants» à la tête du gouvernement. Le parti Ennahda, en revanche, majoritaire au Parlement depuis les dissensions qui ont frappé Nidaa Tounes, s'est curieusement exprimé pour le maintien du Chef du gouvernement, pourtant issu des rangs du parti présidentiel. «Ils veulent dans l'avenir s'entendre avec le Gouvernement de M. Chahed», a déduit le président tunisien, dans la même interview.

La crise avait connu un nouveau rebondissement, le 14 septembre, avec le gel par Nidaa Tounes de l'adhésion de Chahed, accusé de ponctionner le parti au profit de son propre groupe. Les démissions se sont par ailleurs succédé ces derniers jours en contestation de la politique de Hafedh Caïd-Essebsi, accusé de mener le parti à sa perte dans le seul but de se maintenir à sa tête, avec le soutien présumé de son père, qui s'en défend.

«C'est injuste de dire que je favorise mon fils. D'ailleurs, je ne suis pas satisfait du rendement de Nidaa […] Et puis, qu'est-ce qui empêche les gens de Nidaa de virer Hafedh s'il ne leur convient plus? Qu'ils se réunissent et s'accordent entre eux! Il y a le congrès de Nidaa qui se tiendra en janvier 2019 et que le meilleur gagne!»

Le chef du gouvernement tunisien suspendu de son parti
S'exprimant sur l'avenir du gouvernement, le Président tunisien a constaté que lâché par les siens, le chef du gouvernement était désormais dépourvu de légitimité. Il lui a conseillé de recourir à la voie parlementaire pour retrouver une assise politique et par la même occasion, de «faire taire» la voix de ses opposants.

«Je n'ai pas de problème avec Youssef Chahed, c'est moi qui l'ai ramené! Et je souhaite qu'il réussisse. Je lui ai effectivement conseillé [en juillet dernier, soit de démissionner soit de solliciter un vote de confiance du Parlement, ndlr] puisqu'il y a une division à son sujet, moi, mon devoir, c'est de mettre tout le monde d'accord. Je lui ai conseillé d'aller au Parlement pour retrouver une légitimité. Sa seule légitimité, il la tire de l'Assemblée. S'il y va, et que celle-ci le soutient, l'affaire est close!», a ajouté le président tunisien.

Une démarche qui rencontrera d'autant plus de succès qu'outre Ennahda, le chef du gouvernement bénéficie du soutien inconditionnel apporté par «son» nouveau groupe parlementaire, formé de transfuges de Nidaa Tounes. «J'espère seulement que ce n'est pas lui qui est derrière leur départ de Nidaa Tounes!», a suggéré discrètement Béji Caïd-Essebsi.

La crise politique en Tunisie est le résultat d'une campagne présidentielle démarrée «deux ans en avance», a rappelé Béji Caïd-Essebsi au cours de la même interview. À 15 mois de la présidentielle, le Président de la République, 92 ans, n'exclut pas de briguer un second mandat. Le directeur exécutif de Nidaa Tounes avait récemment déclaré que son parti soutiendrait en priorité le Président, s'il souhaitait rempiler. À défaut, Nidaa Tounes choisirait son propre candidat.

En Tunisie, le parti présidentiel soutiendra Caïd Essebsi, 92 ans, s’il veut rempiler
Ennahda, qui est depuis plusieurs mois «en quête de respectabilité» internationale, n'a pas encore choisi son candidat, alors que Youssef Chahed, qu'elle soutient, et auquel il est prêté des ambitions présidentielles, n'a pas encore choisi son parti.

En août dernier, à l'occasion de l'annonce du Président de la loi sur l'égalité hommes-femmes en matière d'héritage, une source proche du pouvoir avait déclaré à Sputnik que Béji Caïd-Essebsi préparait déjà la rupture avec Ennahda:

«À un an et quelques des prochaines échéances électorales, c'est une façon, pour Béji Caïd Essebsi de renouer avec le réservoir électoral féminin, qui avait largement contribué à le faire élire en 2014. C'est également un "friendly fire" pour embarrasser Ennahda, en pleine quête de respectabilité internationale, tout en préparant la rupture avec ce partenaire associé au pouvoir, parce que la rupture est la seule et unique façon de remporter les élections de 2019, à laquelle se présentera Béji Caïd Essebsi ou un dauphin adoubé.»

Échéances présidentielles à propos desquelles Béji-Caïd-Essebsi n'a toujours pas souhaité clarifier ses intentions dans son interview du 24 septembre. En attendant, au lendemain de cette apparition présidentielle, Ennahda a publié un communiqué affirmant son «attachement à la voie du consensus avec le Président de la République».

Autant dire que sur l'origine de la rupture, le consensus fait, là encore, défaut.

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