Après les tragiques inondations en Tunisie, la grogne monte. À tort?

Après les dramatiques inondations, le chef du gouvernement tunisien a rendu visite aux zones sinistrées, en leur promettant des indemnisations. Entre-temps, la grogne monte sur la Toile, les internautes accusant le gouvernement de «défaillances». Un ingénieur spécialiste en mécanique des sols et fondation des ouvrages fait le point pour Sputnik.
Sputnik

Des pluies diluviennes qui se sont abattues samedi sur la région de Nabeul, en Tunisie, ont fait au moins, cinq morts, selon un dernier bilan communiqué par le ministère de l'Intérieur.

Plusieurs vidéos impressionnantes des zones sinistrées ont circulé sur la Toile, ce week-end, montrant des scènes apocalyptiques, des voitures emportées par le torrent, des flots parcourant les artères de la ville, ainsi que plusieurs dizaines d'habitations inondées.

Dans certaines zones, comme les villes de Nabeul ou Menzel Bouzelfa, les précipitations ont atteint des niveaux presque jamais égalés, avoisinant les 200 mm! Une situation qui s'est aggravée avec les crues. Samedi 22 septembre, la ville de Nabeul se trouvait ainsi isolée, toutes les routes y conduisant étaient coupées. Une situation qui a nécessité le recours aux moyens de l'armée, qui a pris la situation en main dans de nombreuses localités de la région.

Dimanche, le ministre de la Défense, le chef du gouvernement et d'autres responsables gouvernementaux se sont rendus sur le terrain dans les zones sinistrées. Une visite pour constater les dégâts, promettre des indemnités, donner des directives, mais essayer également de contenir la colère des habitants et plus généralement, celle des Tunisiens s'exprimant sur la Toile: À défaut d'avoir les bonnes infrastructures, les autorités auraient pu, au moins, prévenir la population sur la survenance d'une telle catastrophe naturelle.

​Pour Mongi Bouhlila, ingénieur Génie civil, spécialisé en mécanique des sols et fondation des ouvrages, le problème n'est pas uniquement celui de à la qualité des infrastructures tunisiennes. Selon des données officielles, révélées dimanche par le ministère de l'Équipement, des précipitations telles que celles qui ont frappé Nabeul le 22 septembre se produisent une fois tous les 300 ans. Or, le système d'infrastructures répond, généralement et toujours selon les contraintes budgétaires, à des événements moins fréquents.

«Les études techniques permettent d'évaluer les risques à partir de données statistiques sur l'intensité et la fréquence de retour des pluies: quantité probable de pluie pour une récurrence donnée. On choisit donc de se prémunir contre une pluie donnée sur la base d'une intensité et d'une fréquence; cela suppose qu'on fait des choix. Lesquels sont basés sur l'importance des ouvrages à protéger (les zones urbaines, les routes, les ponts…). Cela implique aussi des choix économiques fonction des moyens (budgets). On peut alors tolérer de ne pas évacuer de petites précipitations même si leur fréquence est élevée. On dit alors qu'on dimensionne les ouvrages de protection et les réseaux d'évacuation pour une récurrence donnée: 5 ans, 10 ans, 50 ans, 100 ans… le coût est d'autant plus élevé que la récurrence est haute. Pour le cas de Nabeul, il s'agissait d'une pluie exceptionnelle (récurrence de l'ordre de 300 ans); et rien n'est dimensionné pour!» explique pour Sputnik le spécialiste tunisien.

Autrement dit, il s'agit d'une pluie qui aurait causé d'importants dégâts partout où elle se serait abattue dans le monde. Des dégâts de moindre ampleur, concède Bouhlila, puisque «si nos infrastructures sont conformes aux normes internationales, elles restent adaptées à des petites pluies. À ce titre, elles ne sont pas au niveau de celles qu'on retrouve dans des pays développés comme la France ou l'Allemagne qui peuvent tabler, eux, sur des précipitations plus importantes».

De fait, les routes coupées, au sens propre, le déraillement de voies du RER, le spectacle de voitures inondées ou d'habitations submergées ont été relevés dans plusieurs départements français, en juin dernier.

​La responsabilité des autorités est plus évidente, en revanche, en matière de prévision, de communication, mais aussi des manquements au niveau de l'entretien du réseau existant. Des défaillances qui se trouvent liées à la crise économique dans laquelle patauge le pays depuis la révolution du 14 janvier 2011.

«Évidemment, après il y a le problème de l'entretien du réseau qui doit se faire avant la saison des pluies; et là est le drame de notre pays; nous ne disposons plus de budget pour ça; nous n'en avons plus les moyens. Question de priorité: il faut payer les salaires, construire une école ou un hôpital avant. Et encore! D'autres facteurs aggravent aussi la situation: les constructions anarchiques dans des zones de cours d'eau, l'absence de végétations et le taux élevé de surfaces imperméabilisées par les constructions. Le rôle du citoyen dans la dégradation et l'inefficacité des réseaux d'évacuation n'est pas négligeable: rejet de déchets aux égouts…», conclut pour Sputnik Mongi Bouhlila.

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