«Brouillard de guerre,» l'expression créée par le général prussien Carl von Clausewitz pour dépeindre le climat d'incertitude et de confusion des belligérants a pris tout son sens dans la nuit du 17 au 18 septembre.
Dans la soirée du 17 septembre, la télévision syrienne passe les images du siège de l'agence des industries techniques. Touchée par un missile de «provenance inconnue», la carcasse du bâtiment est la proie des flammes. Dans la foulée, des messages relatant des explosions ou des vidéos de missiles traversant le ciel sont postés sur les réseaux sociaux depuis des localités voisines, Boniyas ou encore Tartous, qui abrite notamment la flotte russe. À partir de 19 H 12 (GMT), des dépêches d'agences occidentales commencent à tomber. De leur côté, les médias syriens évoquent alors de «nombreux» missiles qui auraient été abattus par la défense antiaérienne. Seule «certitude» à cet instant, quel que soit son vecteur, l'attaque provient du large.
Des images qui proviennent de Lattaquié, principale ville portuaire de Syrie, capitale du gouvernorat éponyme bordé au nord par Idlib et réputée pour être le fief de Bachar el-Assad. Idlib, gouvernorat échappant encore à l'autorité damascène et pour lequel Turcs et Russes sont parvenus à un accord le jour même.
La presse russe relaie à 22 h 35 (GMT) l'annonce du Ministère russe de la Défense selon laquelle le contact avec l'Il-20 a été perdu «pendant» des frappes israéliennes et des tirs de missiles français.
Dans la foulée (à 22 h 37 GMT), Ria Novosti publie une information du Ministère russe de la Défense, indiquant que le contrôle aérien russe aurait détecté «des tirs de missiles» mer-terre, depuis la frégate multimissions (FREMM) française Auvergne, qui croise dans le secteur, non loin du «Curieux», un vaisseau russe de la flotte de la mer Noire. Dans une dépêche sortie à 22 h 49 (GMT), l'agence Itar-Tass utilise de son côté le terme d'«accident» pour évoquer le sort de l'appareil russe.
Dans l'heure suivante, Sputnik fera part du refus des autorités militaires israéliennes de commenter les «informations étrangères».
Nous sommes alors au beau milieu de la nuit, 15 militaires russes viennent d'être tués lors d'une série de frappes et Moscou cherche les coupables. Mais, contrairement à ce que relatent nos confrères français, qui se sont basés sur des dépêches il est vrai parfois ambiguës, le ministère de la Défense russe n'a accusé ni Israël ni la France d'avoir descendu son appareil.
Au matin, le ministère de la Défense russe annonce que l'Iliouchine s'est retrouvé dans la trajectoire de tir d'un S-200, un système d'armes entré en service il y a plus de 50 ans, avec des capacités de discrimination limitées de la défense antiaérienne syrienne, alors qu'elle tentait de répliquer au raid israélien.
C'est alors que Moscou accuse avec véhémence Israël, dont les quatre chasseurs se seraient servis de l'Iliouchine pour couvrir leur approche: le ministère dénonce une «provocation délibérée» des Israéliens, son porte-parole déclarant se réserver «le droit de répondre de manière adéquate». L'ambassadeur israélien est convoqué. C'est alors que Vladimir Poutine joue la carte de l'apaisement. Le Président russe estime que la destruction de l'appareil est le résultat d'une «chaîne de circonstances accidentelles tragiques,» dédouanant ainsi les Israéliens.
Du côté de Paris, un porte-parole de l'État-major des armées a démenti durant la nuit «toute implication dans cette attaque», à l'affirmation russe sur un éventuel tir de missile depuis l'Auvergne. Une ligne maintenue par Balard lors d'un point presse le jour même, l'Armée renvoyant les journalistes aux déclarations de l'État-major.
Pourtant, on le rappelle, Moscou n'a pas accusé la France d'avoir le moindre rôle dans la perte de son appareil. Il est en revanche exact qu'un expert militaire, interrogé par des journalistes, a estimé que l'Auvergne s'était simplement «retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment» relate l'agence Itar-Tass. Prenant pour argent comptant l'affirmation du ministère russe de la Défense sur un tir de missile depuis la frégate française, il a jugé inopportune cette «contribution» française à la confusion dans le ciel syrien cette nuit-là. Une position non officielle donc.
Plus tard dans la journée, certains représentants du Quai d'Orsay s'emballeront sur les réseaux sociaux, jouant les indignés et accusant la Russie de «propager des Fake news», à l'image de l'ambassadeur de France aux États-Unis, qui continue clairement de jouer la carte de la confusion en ne distinguant pas les deux questions, celle de l'avion —résolue- et celle de l'activité de cette frégate française présente au large de villes côtières syriennes sous le feu «ennemi» pour reprendre le qualificatif de la télévision syrienne.
On notera toutefois que ce haut responsable français, comme les experts que nous avons interrogés, juge clairement impossible une frappe française sur le sol syrien dans ce contexte.
«La France n'a pas bombardé le territoire syrien, n'a pris part à aucune opération militaire. Nous n'avons strictement rien à voir avec les événements d'hier», assène-t-il quelques minutes après son premier tweet, après avoir justement été mis face à ses contradictions.