«La réalité moderne dans une métropole telle que Moscou […] est dépourvue de poésie»,
estime le peintre Ivan Glazounov, critique d'art et membre de l'Académie russe des arts. Du coup, il va la chercher ailleurs. Et comme nombre d'artistes, de philosophes et d'intellectuels russes depuis plus d'un siècle, il acquiert un équilibre intérieur et retrouve son souffle dans le Nord russe. Depuis des décennies, des villes comme Arkhangelsk, Vologda, Pskov, mais aussi de petits villages perdus sur les rives de la Pinega ou la Dvina servent de toile de fond à ses personnages en costumes populaires, des rencontres avec les habitants remplissent la boîte magique de son inspiration.
«Nous ne sommes pas capables de détourner le cours de l'histoire, dit Ivan Glazounov, puisqu'elle est tissée des actions et des visions d'une multitude de personnes. Mais un artiste peut figer un moment historique, un collectionneur peut réunir un certain nombre d'objets.»
«au-dessous de cette vie banale, la vraie culture sommeille telle une Atlantide. La culture et l'art que l'on imagine être conservée uniquement dans la mémoire et les livres est bien là.»
Ivan Glazounov raconte que dans le Nord russe, les gens ont gardé une vraie hospitalité, où on accueille chaleureusement, donne à manger, cède à l'hôte son propre lit, un monde où on ne ferme pas sa porte à clef. Pour l'artiste, bien qu'il soit rare de voir les femmes en costume populaire avec kokochniks lors des fêtes de village, elles se reconnaissent dans ses personnages du passé à travers ses tableaux.
Une histoire a particulièrement marqué le peintre: à Vologda, lors d'une exposition, une femme est venue le voir et dit «Je n'ai jamais pensé à cet aspect de la culture, mais après avoir vu vos tableaux j'ai décidé de mettre un cierge en mémoire de tous mes aïeux.» Ce moment est resté dans sa mémoire comme une récompense de son travail de peintre.
«Le Nord russe pour moi, c'est l'âme fragile de la Russie,» s'émeut Ivan Glazounov.
Le thème de l'exposition est né de la réflexion de l'artiste sur le passé et le présent de la Russie du Nord. Pourtant, il se refuse de se «qualifier de passionné. Il y a des gens qui font plus, qui restent vivre dans les campagnes et ne vont pas chercher le confort des villes. Ce sont des gens qui tiennent à vivre dans leur "petite Patrie", leur région d'origine.»
De plus, pour l'artiste
«les vrais passionnés sont ceux qui collectionnent les chants populaires, la tradition orale»,
puisque pour lui, «fixer» un son, ressentir l'empreinte de ce phénomène fugitif est une tâche encore plus complexe.
Mais même un bâtiment historique «en dur» est une chose fragile dans le Nord. Il y a juste un mois, une ancienne église en bois du XVIIIe siècle a brûlé en Carélie. L'Église de l'Assomption qui, pour le peintre, tel un «cierge spirituel», occupait une place importante dans le paysage au bord d'un lac tranquille. «Il faut la reconstruire, je pense, assure Ivan Glazounov, ça donnera aussi du travail aux restaurateurs de bâtisses en bois. Ils ne sont pas nombreux, mais leur savoir-faire est unique au monde. S'ils le font, ça sera une reproduction fidèle, non une imitation de l'ancien.» Mais pour l'artiste, son engouement pour le nord de la Russie s'étend au-delà du raisonnable:
«À part la beauté, il y a aussi quelque chose d'inexplicable qui m'attire dans ces lieux, une attraction sibylline, un sentiment proche de l'amour entre homme et femme.»