Coquille Saint-Jacques contre coquille Union Jack!

À deux reprises, les pêcheurs français et britanniques se sont rencontrés pour trouver une issue au conflit de la coquille Saint-Jacques, qui a donné lieu à de violents accrochages au large des côtes normandes. «La surenchère britannique a fait capoter les accords,» regrette au micro de Sputnik Dimitri Rogoff, le patron des pêcheurs normands.
Sputnik

L'or blanc de la pêche française- pèlerine, cilleux, Peigne commun, gofiche, Pecten maximus- que des noms anciens, oubliés ou usuels, pour designer la coquille Saint-Jacques, la coquille préférée des Français, qui en consomment près de 150 000 tonnes chaque année. Mais depuis un certain nombre d'années, c'est la coquille de discorde entre Français et Britanniques.

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Pour Dimitri Rogoff, président du Comité régional de la pêche maritime de Normandie, cette opposition est allée crescendo: «il y a une quinzaine d'années, on s'accommodait de la présence des Britanniques». Le premier coup de cloche a retenti en 2002, avec «un gros bateau (hollandais) de 33 m qui a agacé tout le monde en arrivant et en commençant à chercher un peu partout». Les autorités françaises ont prétexté de la «sécurité sur le plan d'eau» pour lui demander de partir, mais au fur et à mesure, «les Britanniques ont mis plus de bateaux sur cette pêche pour renforcer leur effort de pêche».

Président du Comité Régional de la Pêche de Normandie

«Comme c'est une espèce qui n'est pas gérée au niveau communautaire, on peut renforcer sa flottille et avoir plus de bateaux sur cette pêche, précise Dimitri Rogoff. En 2012, on a eu les mêmes images de violence.»

Tant bien que mal, les deux parties ont réussi à passer un accord sur la pêche à la coquille en baie de Seine. Seul hic, les fameux «petits bateaux» de moins de 15 mètres ne rentraient pas dans le compromis. Une possibilité de rêve pour les Britanniques, qui ont adapté leurs bateaux à cette exigence, au point de parfois même couper les coques des bateaux pour qu'ils rentrent dans les normes.

«On a beau discuter avec nos homologues en demandant de globaliser l'accord, se désole le président normand, ils se sont montrés réticents, ce qui nous a amenés au clash d'il y a une dizaine de jours, où les pêcheurs n'ont d'autres possibilités que de le dire en mer.»

«Un tiers des coquilles Saint-Jacques françaises sont pêchées dans les eaux britanniques. Or nos voisins d'outre-Manche comptent profiter de leur sortie de l'Union européenne pour interdire à nos pêcheurs l'accès à leurs gisements,» affirmait Le Canard Enchaîné en janvier dernier.
Et maintenant, ce clash au large de la côte normande.

Avec le Brexit, n'y a-t-il plus de règles au sein de la communauté? «C'est un raccourci rapide, assure Dimitri Rogoff, c'est un problème économique, parce que c'est un choix de modèle d'exploitation. Avec cette ressource naturelle —une coquille sédentaire-, soit on met un gros bateau qui pêche tout, soit on crée plein de petits bateaux le long du littoral et on développe l'économie locale.»

«En Normandie, on a préféré un modèle artisanal, nous dit le patron des pêcheurs normands. À partir du Tréport, tous les 30 km il y a un port avec des bateaux qui pêchent la coquille. Côté britannique, le choix est différent: ce sont des bateaux qui appartiennent aux usines et les patrons ne sont pas propriétaires de leurs bateaux, les bateaux viennent d'Écosse pour pêcher jusque chez nous.»

Ainsi, on a deux approches: la française, avec des règles pour mieux gérer leurs ressources du produit que l'on vend en France, et l'anglaise, industrielle. En France, on paye les salariés «à la part», en fonction de ce qu'ils pêchent, on emploie des gens de la région. Sur tous les bateaux britanniques, on a des travailleurs internationaux, payés au salaire international. Tout cela crée des difficultés pour négocier. En plus, pour M. Rogoff,

«Dans un deuxième temps, il y a la posture Brexit. Les pêcheurs anglais regardent leurs dirigeants politiques, en disant: comment vous allez réagir face à cette situation? Il y a un côté populiste: on ne va pas laisser faire les Français.»

Dimitri Rogoff estime que la situation, où les Britanniques avancent l'argument du «droit», en s'appuyant sur la juridiction européenne, est «totalement surréaliste», «Ils vont sortir dans six mois de l'Europe!» s'exclame le président des pêcheurs normands. Pour lui, l'approche française est plus judicieuse et donne «droit de gérer les sources», puisqu'elle «s'appuie sur des bonnes pratiques et l'avenir de la pêche».

Et l'avenir de la pêche est un concept cher au Président du CR Normand, puisque

«dans les gisements "protégés", dans nos eaux territoriales, où les Anglais n'ont pas accès, les résultats sont formidables.»

En fait, la coquille à l'intérieur de la Baie de Seine, au moment de la ponte, sème dans toute la Manche Est, ce dont profitent largement les Britanniques. «La bonne gestion que l'on pourrait faire dans la baie de Seine et sur ses limites extérieures —avec des dates d'ouverture de pêche et des quotas- profiterait directement aux Britanniques, qui n'ont aucune règle, précise Dimirti Rogoff. Eux, ils ont deux contraintes: la taille marchande de 11 cm et un effort de pêche qui est contingenté —le fameux Kilowatt/jour- avec une enveloppe qui ne peut pas être dépassée.»

La réunion à Londres, après la «bataille navale» entre les Britanniques et les Français, était censée mettre de l'ordre dans la pêche à la coquille. En France, les dates sont fixées par un arrêté ministériel, valable pour toute la France: pas de pêche entre le 15 mai et le 1er octobre. Pour les Britanniques, en dehors de la taille et de l'effort de pêche, aucune contrainte en termes de quantité, de lieu, de date ou de moyens techniques. En tant que représentant professionnel, le Président des pêcheurs normands aurait voulu aller beaucoup plus loin que les accords négociés avec les Anglais et parler de durée de pêche, d'exigences techniques sur le matériel, selon lui,

«la revendication des Français est à minima: "on partage ensemble, à la même date, vous ne venez pas avant nous", clame Dimitri Rogoff, mais on ne l'a pas obtenu. On sent que c'est bien la posture Brexit qui a fait capoter les accords.»

Effectivement, entre le début de la semaine dernière, où la délégation française rencontre à Londres des gens qui écoutent leurs arguments sur la gestion de ressources et l'écologie et sort ravie, pensant avoir obtenu un accord, et la seconde réunion, il a eu un tel changement d'attitude de la part de mêmes négociateurs que les Français les ont vus «avec une mentalité différente». M. Rogoff ne peut que supposer ce qui s'est passé concrètement entre les deux réunions: pour lui, «il y a eu une forme de surenchère».

Résultat: on est sans accord dans un conflit latent permanent. Pour Dimitri Rogoff, ce conflit «prendra peut-être une autre forme que celle qu'on a vue en mer», puisque les batailles navales sont fort dangereuses.

«Je n'ai pas envie voir des gars perdre leur vie pour une chose comme ça, affirme le patron des pêcheurs normands. Il y a déjà un appel au boycott des produits de mer anglais, sachant qu'ils sont très dépendants de notre marché.»

Les agriculteurs ont donné à maintes reprises des exemples d'action de triage sur les étals des grands centres de distribution de France, les pêcheurs peuvent s'en inspirer s'il en a un appel à ne pas importer les produits venus des îles Britanniques.

En mars dernier, Oceana, une ONG américaine de protection des océans, a indiqué que les changements dans la gestion des pêcheries de l'UE et du Royaume-Uni après le Brexit donnent au Royaume-Uni la possibilité de passer à un nouveau mode de gestion de pêche de différentes espèces de poisson plus écologique et durable. Mais un rapport publié en avril par la New Economics Foundation (NEF) a révélé que le Royaume-Uni et l'Irlande «doublaient» toujours les pays de l'UE en ignorant les avis scientifiques sur les limites de pêche en Atlantique.

«L'honneur, c'est comme les coquilles Saint-Jacques: bien lavé, ça ressert,» disait Frédéric Dard. A-t-il seulement été traduit en anglais? Les pêcheurs britanniques pourraient s'inspirer de cette maxime.

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