En Tunisie, un crime crapuleux relance le débat sur la peine de mort

Un crime odieux qui a endeuillé un village de l’Ouest tunisien, a suscité une vague d’émotions et relancé le débat sur la peine de mort…inapplicable depuis 1991.
Sputnik

Au soir du 24 août, 4 individus s'introduisent, par effraction, dans le domicile occupé par une octogénaire, sa fille, et sa petite-fille de 15 ans, dans le village de Bir El-Aïche, dans l'Ouest tunisien. Violentées, la grand-mère a succombé, mardi, à ses blessures, alors que la mère est dans un état jugé grave. La petite fille a été kidnappée et retrouvée trois jours plus tard, violée et gravement blessée. Les agresseurs ont été arrêtés. Parmi eux, des proches des victimes. Les villageois évoquent un règlement de compte.

Sur les réseaux sociaux, le réquisitoire populaire est sans appel. Une peine exemplaire est requise. Ce ne sera pas moins que la peine capitale, suspendue en Tunisie depuis 25 ans. Des écrivains et intellectuels adhèrent au verdict. Le package moderniste n'est pas à importer en bloc. Il devrait pouvoir souffrir quelques aménagements.

«Je suis contre la peine de mort. Contre la peine de mort pour les violeurs de la jeune fille de Goubellat. Je suis pour qu'on les torture publiquement…jusqu'à ce que mort s'en suive. La modernité, les droits de l'homme, n'impliquent pas qu'on soit tolérant à l'endroit de gens qui n'ont rien à voir avec l'humanité. (…) Tant qu'ils sont parmi nous, il faut frapper, et fort. La sauvagerie envahit notre pays, sous une gouvernance frappée d'incapacité et de déliquescence», s'insurge l'universitaire et écrivaine Olfa Youssef.

Une proposition pénale: le crime de viol doit être puni par castration», suggère, pour sa part, Emna Rmili, universitaire et écrivaine.

«La peine de mort est le châtiment équitable pour ceux-là!»

Se voulant plus nuancés, d'autres préféraient rappeler que la peine de mort n'a jamais apporté de solution, ni réduit le taux de criminalité. Pis, l'appel à l'exécution des criminels de Goubellat serait même symptomatique de tempéraments vindicatifs.

«Tout le monde s'érige en juge et exige la peine de mort. C'est fou à quel point vous êtes assoiffés de sang, de violence, de vengeance et de mutilation (..)», s'insurge ce professeur d'espagnol.

Il ne s'agit pas de la première fois que la rue tunisienne, sous le choc d'un crime crapuleux, remet à l'ordre du jour la question de la peine capitale. En mai 2016, le meurtre et le viol du petit Yassine, 4 ans, a provoqué dans les médias et les réseaux sociaux des appels à l'exécution du criminel, un jeune caporal. La peine capitale est finalement prononcée, par un tribunal militaire, et confirmée en appel. L'exécution, elle, est une autre affaire.

​«Après le prononcé de la peine, le ministère publique introduit systématiquement, une demande en cassation pour vérifier si la loi a bien été appliquée. Après, l'affaire est portée devant le Président de la République pour décider si la peine doit ou non être appliquée, le cas échéant, elle est commuée en réclusion à perpétuité. Très souvent, en revanche, les dossiers restaient dans les tiroirs de la Présidence, sans qu'une décision ne soit prise à l'encontre des condamnés à mort», résume l'avocat Chedly Ben Younes, cité par le journal électronique Assabahnews.

La dernière exécution remonte, en Tunisie, à octobre 1991. Il s'agissait de Naceur Damergi, alias «le boucher de Nabeul», ville côtière, qui a violé et tué 14 enfants. Sa demande de clémence a été rejetée par le Président tunisien de l'époque, Zine El Abidine Ben Ali.

​«Ben Ali m'a dit, lui-même, qu'il était opposé au principe de la peine de mort. Même si quelqu'un s'est rendu coupable d'un forfait, me disait-il, lui ôter la vie devrait revenir au Bon Dieu, pas à moi, ni à une quelconque autorité. Mais là, pour le cas du boucher de Nabeul, vu les atrocités qu'il a commises, je ne pouvais commuer sa peine comme j'ai pris l'habitude de faire», a déclaré à Sputnik Mounir Ben Salha, avocat de l'ancien président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali.

Depuis le boucher de Nabeul, c'est une suspension de fait, doublée d'une solennité, avec la signature par la Tunisie, le 20 décembre 2012, d'un moratoire officiel sur les exécutions des condamnés à la peine de mort, à l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Ce qui veut dire que son application est toujours suspendue, mais pas supprimée.

«En Tunisie, comme dans tous les pays du monde, des organisations des droits de l'homme veillent au grain. Sous le président Ben Ali (1987-2011), qui était dans le viseur de ces mêmes organisations, et quelque soit sa position sur la peine de mort, le moratoire était aussi une occasion pour compenser un peu les autres reproches qui lui étaient adressés, en matière de liberté d'expression, des cas de torture, etc. Aujourd'hui, la philosophie a un peu changé. C'est-à-dire qu'en même temps qu'elle est devenue, peu à peu, une sorte de tradition, la non application de la peine de mort fait également partie d'un package visant à promouvoir l'image de la nouvelle Tunisie, laquelle promotion s'avère utile par ces temps difficiles. Le tout, en veillant à ménager les équilibres sociétaux et politiques internes, qui font que les textes du code pénal ne sont pas abrogés pour autant, pour l'instant», explique à Sputnik une source autorisée.

Le code pénal tunisien prévoit toujours la peine capitale, dans ses articles 5 et 7, applicable dans un certain nombre de cas. Il s'agit, par exemple, de l'atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat (Art.60), du meurtre avec préméditation (Art.201) et du viol, notamment, sur une personne âgée de moins de 10 ans (Art.227). En juillet 2015, et dans le contexte d'attaques de Sousse et du Bardo, une loi est adoptée par la quasi-unanimité des parlementaires tunisiens prévoyant la peine capitale pour les crimes terroristes.

En août 2017, le président tunisien Béji Caïd-Essebsi créait une commission des Libertés individuelles et des libertés (Colibe) pour lancer une série de réformes. Au mois de juin, la Colibe présentait un rapport fleuve de 235 pages, avec plusieurs propositions. Parmi celles-ci, l'abolition de la peine de mort, ou, a minima, la réduction extrême de son champ…tout en légalisant la suspension. Les propositions devront être discutés à la rentrée.

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