«Plus je lisais cette correspondance, plus je ressentais une rage professionnelle. Je me plaçais involontairement à la place des reporters partis pour la première fois dans un pays d'Afrique inconnu plein de dangers inconnus et de «surprises». Et j'étais étonné de la patience des journalistes qui recevaient des consignes tout simplement suicidaires de Moscou de la part de leurs superviseurs du «Centre de gestion des enquêtes» Khodorkovski. La correspondance met clairement en lumière que la préparation de la mission par les collaborateurs du centre s'était déroulée à un niveau amateur, sans estimations réelles des risques et des dépenses financières. Et de toute évidence, la minimisation des dépenses intéressait davantage le commanditaire que la sécurité du groupe. Ils ont même dû s'occuper eux-mêmes de souscrire une assurance avant le voyage: «Alfa Assurance offre des assurances pour la Centrafrique, allez dans n'importe quel bureau (le central se trouve à Chabolovka), 3000 roubles»», écrit la rédactrice en chef adjointe du centre Anastasia Gorchkova. Dans son mail, elle cite le devis du reportage:
«Frais de nourriture: 40 dollars par jour (840 dollars chacun). Logement: 2150 dollars, 16 nuits, sur la base d'une moyenne de 2250 dollars à Bangui. Chauffeur-traducteur, paiement maximal: 15 jours à 150 dollars en dehors de la ville (n'oubliez pas qu'à Bangui il faut lui payer 90 dollars). 1500 dollars pour les autres dépenses (comme le taxi depuis l'aéroport si Martin n'était pas à l'accueil, des pots-de-vin, etc.) S'il vous plaît, tenez un registre de toutes les dépenses.»
«Ils vont bientôt faire la queue pour vous. Ça fait trop. La prochaine fois soyez plus fermes, vous avez enfreint quoi? Dites que vous irez à l'ambassade, etc.», suggère le rédacteur en chef avant de renvoyer les journalistes à la base militaire. «Allez-y vous-mêmes, vous avez donné beaucoup de fric pour vous rendre dans ce pays et visiter la tombe de Bokassa, vous n'en avez rien à foutre des autorisations.» De plus, Koniakhine demande de filmer en caméra cachée le versement de pots-de-vin.
Comment, sans armée derrière soi ni accréditation du ministère de la Défense local, s'introduire sur un site protégé en se vantant d'avoir «balancé du fric» à droite et à gauche. Kirill Radtchenko, l'une des victimes, a répondu sur un ton diplomatique: «Pénétrer sur un territoire protégé est une utopie.»
Cette correspondance donne l'impression que pour la partie moscovite des «investigateurs», qui ne comprennent absolument rien à la spécificité de la Centrafrique ni au journalisme de guerre extrême, le voyage de Jemal, Rastorgouev et Radtchenko était une simple aventure à sensations. A chaque niveau survenaient des difficultés que le Centre tentait de régler «selon Wikipedia», c'est-à-dire de manière complètement non professionnelle. Au final, toutes ces complications ont constitué un enchaînement conduisant à la tragédie.