«Le président de la République a voulu que la politique du handicap constitue la priorité du quinquennat.» Le 20 septembre 2017, le Premier ministre Edouard Philippe entretenait l'espoir des millions de personnes handicapées que compte la France. Lors du premier Comité interministériel du handicap, ses déclarations adoptaient le même ton que celles d'Emmanuel Macron durant la campagne. Difficile d'obtenir des chiffres précis quant au nombre de handicapés dans l'Hexagone. D'après une étude du ministère du Travail, en 2015, on dénombrait 2,7 millions de personnes de 15 à 64 ans déclarant disposer d'une reconnaissance administrative de leur handicap. Quant à ceux qui assuraient souffrir d'une maladie ou d'un problème de santé chronique les limitant depuis au moins six mois, ils étaient au nombre de 5,7 millions. Mais ce qui est certain, c'est que les associations qui les représentent sont en colère. Très en colère.
Le gouvernement trop sensible aux sirènes des professionnels du bâtiment?
Parfois, cette défiance finit par engendrer de véritables actions coups de poing. Comme le 22 août, quand plusieurs personnes handicapées, dont certaines en fauteuil roulant, ont bloqué un convoi de pièces de l'Airbus A380 dans le Gers. Odile Maurin, présidente de l'association Handi-social et à l'origine de la protestation, s'est confiée à Sputnik France:
«Je pense que nous avions très mal compris quelle était la véritable priorité du gouvernement en ce qui concerne les personne handicapées: la démolition de leurs droits. La loi Elan a vraiment été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Alors même que l'on manque de logements accessibles, les autorités ont décidé de reculer davantage. Il faut savoir que c'est un véritable parcours du combattant pour beaucoup de personnes handicapées de trouver un logement accessible à leur condition. Et avec le vieillissement de la population, c'est encore pire.»
Adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 12 juin, le projet de loi sur l'Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) prévoit notamment, par le biais de son article 18, le passage de 100% à 10% de logements accessibles aux personnes handicapées dans la construction neuve. Et les 90 % restants? Ils seront «évolutifs». En d'autres termes, ils pourront être rendus accessibles après travaux.
Le but de la manœuvre est de faire baisser le prix des constructions afin de donner un coup de pouce au marché. Plusieurs professionnels du bâtiment se plaignent en effet depuis des années des coûts engendrés par les normes d'accessibilité et des mètres carrés supplémentaires qui seraient nécessaires. Une hérésie pour Odile Maurin qui accuse le gouvernement et la Fédération française du bâtiment de «mentir.» Elle point également le retard de l'Hexagone en la matière:
«La vérité c'est que, si parfois cela coûte si cher en France, c'est à cause du manque de formation. Nos architectes, maîtres d'ouvrage et nos maîtres d'œuvre appliquent la loi de manière stupide. L'architecte français lambda monte son projet comme il a toujours appris et une fois réalisé, il se pose la question de l'accessibilité. C'est travailler à l'envers. En faisant comme cela, vous générez effectivement des mètres carrés supplémentaires. Les Anglo-saxons et les Scandinaves, qui sont plutôt bons, ont l'habitude de concevoir leurs projets en intégrant dès le départ la question de l'accessibilité. De ce fait, les coûts sont fortement réduits. D'ailleurs, une étude de la Banque mondiale publiée en 2008 chiffre le coût supplémentaire à environ 1%. C'est loin des 15 à 20% qu'avancent certains professionnels qui ont l'attention du gouvernement.»
Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées, se défend de tout recul des droits des handicapés. Elle insistait récemment chez nos confrères de RTL sur le caractère «évolutif» des logements qui n'auront pas l'obligation d'être aux normes accessibilité:
«Nous sommes autour de la table avec les associations pour enlever le flou. Qu'est-ce que ça veut dire un appartement évolutif? Tout simplement que des travaux pourront être faits très facilement, à moindre coût, pour le moduler, et pas à la charge des personnes pour tout ce qui ressort des logements sociaux.»
La présidente de Handi-Social accuse quant à elle le gouvernement de prêter une oreille trop attentionnée aux professionnels du bâtiment:
«Vous prenez le rapport de la Fédération française du bâtiment de 2013 et vous trouvez déjà cette proposition. On voit qui dicte ses conditions au gouvernement.»
En effet, dans une publication datée du 19 juillet 2013, la FFB avaient demandé à des professionnels de donner leurs «préconisations en matière de simplifications règlementaires». On pouvait notamment lire dans le document: «Pour les bâtiments avec ascenseurs, il est proposé de limiter le respect du cadre réglementaire pour 10 % des logements à répartir dans les différents niveaux. (…) Le solde des logements de ces bâtiments devront être visitables [par des personnes handicapées]. (…) Bien évidemment, un logement visitable devra pouvoir être adapté en cas de besoin.»
La ressemblance avec le texte du gouvernement est frappante.
La colère des handicapés de France ne s'arrête pas là. Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, l'augmentation de l'allocation adulte handicapé (AAH) de 810 à plus de 900 euros durant le quinquennat sera tenue. Mais là encore, les associations dénoncent un certain enfumage. Elle ne se fera pas d'un coup mais en deux échéances: + 50 euros en novembre 2018 et + 40 euros l'année suivante.
«Les 90 euros d'augmentation immédiate se sont transformés en 50 euros bientôt et 40 dans un an. De plus, on prend dans les poches de certains handicapés pour mettre dans celles des autres car les grands perdants de cette opération sont les couples. On est très loin du compte», tempête Odile Maurin.
Le plafond de ressources qui autorise l'obtention de l'AAH pour les personnes pacsées, mariées ou concubines va être gelé. Dans les faits, cela se traduit par un montant de l'allocation inchangé pour 20.000 handicapés et une revalorisation partielle pour 80.000 autres.
«C'est totalement inadmissible. Même Sarkozy, qui était critiqué à juste titre, avait cédé sur une augmentation de 25%. Macron réussit à faire encore pire que Sarkozy et Hollande!», s'insurge la présidente de Handi-Social.
En effet, si le gouvernement en reste à une augmentation de 90 euros sur deux ans, la hausse de l'AAH sera de 11% sur l'ensemble du quinquennat. Sous Nicolas Sarkozy, l'augmentation de 155 euros avait représenté une hausse de 25%. Et les allocataires en couple et les bénéficiaires du complément de ressources n'avaient pas été impactés.
Et ce n'est pas fini. Depuis le 1er juin, fini la prime d'activité pour les près d'un million de personnes touchant une pension d'invalidité. La loi de finances 2018 est passée par là. Même chose pour les bénéficiaires d'une rente accident du travail-maladie professionnelle (AT-MP). Dans les faits, cela se traduit par une sévère perte de pouvoir d'achat. L'association APF France handicap donne des exemples que rapporte le site Handicap.fr:
«Valérie, titulaire d'une pension d'invalidité et en emploi à temps partiel va perdre 140 euros par mois, soit plus de 10% des ressources de cette maman célibataire. Même constat pour Sylvie qui va perdre 160 euros par mois et vivra désormais sous le seuil de pauvreté avec 900 euros. Ou encore Sandra dont les ressources sont amputées de 330 euros.»
Les associations se sont trouvées récemment deux alliés de poids. Jacques Toubon, le Défenseur des droits, a demandé le retrait de l'article 18 de la loi Elan. Il juge qu'il s'agit d'une «grave régression sociale» et d'«une atteinte aux droits des handicapés». «En l'état, ce projet de loi conduirait à une diminution significative de la proportion de logements accessibles aux personnes en situation de handicap que les bâtiments d'habitation collectifs neufs doivent obligatoirement contenir », s'est inquiétée pour sa part Dunja Mijatovic, commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.
En tout cas, il faudra compter avec l'association d'Odile Maurin:
«On a bien dit que ce n'était que le début. Tant que le gouvernement ne reculera pas, on ne lâchera rien. On en peut plus. Il faut que cela cesse. 10%, 30%, peu importe, on ne négocie pas un quota. On veut le retrait pur et simple.»