Serait-il «aussi simple» de renoncer au Brexit que de commander un steak à la place d'un poulet mal cuit dans un restaurant? La réponse est clairement oui pour le cofondateur de la marque de vêtements SuperDry, Julian Dunkerton. Il a fait cette comparaison «très grossière» dans une vidéo publiée le 19 août sur le compte Twitter de Peolple's Vote, une organisation militant pour la tenue d'un second referendum sur l'accord final du Brexit.
«Les Britanniques ont déjà voté pour quitter l'UE. Il n'y aura pas de second referendum sous aucune circonstance»,
répétait pourtant à la mi-juillet un porte-parole de Theresa May, alors qu'une députée conservatrice et ex-secrétaire d'État à l'éducation, Justine Greening, annonçait au micro de la BBC rallier la cause d'un second referendum sur le Brexit, ce afin de «régler cette question européenne une bonne fois pour toutes» justifiait-elle.
Qu'à cela ne tienne, toujours le 19 août, Julian Dunkerton annonçait dans une tribune, publiée sur le site du Times, avoir versé la somme rondelette d'un million de livres sterling (1,1 million d'euros) à la cause de People's vote.
MUST-WATCH: Julian Dunkerton, British entrepreneuer, shares why a #PeoplesVote is important to him and why he has donated £1 million to support the campaign: pic.twitter.com/F1fh3sUQ0w
— People's Vote UK (@peoplesvote_uk) 19 августа 2018 г.
«Les gens se rendent de plus en plus compte que le Brexit va être un désastre,» estime le multimillionnaire de 53 ans, pour qui il y a deux façons de regarder le monde «l'une optimiste et l'autre complètement négative». Ainsi, celui qui souhaite être présenté comme un «serial entrepreneur» espère que le gouvernement britannique prendra la décision de faire machine arrière afin de permettre au Royaume-Uni de «rester une des grandes nations de ce monde.»
Soutenir la cause d'un second referendum, le geste d'un patron qui ne surprend pas l'économiste David Cayla, maître de conférences à l'université d'Angers et membre des Économistes atterrés.
«Il défend ses intérêts. Clairement, en tant que chef d'entreprise, il a besoin d'accéder au marché européen et la grande crainte pour les industriels et les patrons en Grande-Bretagne c'est d'avoir un no-deal, c'est-à-dire pas d'accord.»
Le «no-deal», un spectre brandi par les opposants à la sortie du Royaume-Uni de l'UE, les «remainers». Si ces derniers estiment que le vote des partisans du Brexit a bien été respecté avec le déclenchement de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, ils estiment qu'à présent un «mandat démocratique» doit valider les «modalités d'interprétation» de la mise en œuvre du fameux article 50… Pour reprendre l'image de Julian Dunkerton, selon les perdants du referendum de 2016, une fois le poulet commandé, ne pas pouvoir donner leur avis sur sa cuisson serait un manque caractérisé de démocratie.
En effet, si des accords bilatéraux —notamment diplomatiques- entre le Royaume-Uni et les États-membres européens subsisteront après le 29 mars 2019 (dernier jour avant le désarrimage du Royaume-Uni de l'UE), en matière commerciale, l'absence d'accord sera tout autre, souligne le spécialiste. David Cayla rappelle ainsi que, au gré des traités européens, c'est Bruxelles qui a pris la main sur l'établissement des partenariats commerciaux.
Un point sur lequel insiste Julian Dunkerton, estimant que «nous aurions vraiment, vraiment eu beaucoup de mal à faire face aux négociations avec chaque pays». Pour le multimillionnaire de 53 ans, dont l'entreprise est aujourd'hui cotée à la bourse de Londres, «si le Brexit avait eu lieu 20 ans plus tôt, la marque Superdry ne serait jamais devenue la réussite mondiale qu'elle est.»
«Il n'est pas du tout certain qu'un autre referendum changerait le résultat. Concrètement, la logique du Brexit est quand même largement engagée, je pense que beaucoup de Britanniques se sont faits à l'idée. Je suis assez sceptique, en général quand on joue à ce jeu, on est perdant,» met en garde David Cayla.
D'après un papier fuité du cabinet de Theresa May, que le quotidien The Daily Telegraph a pu consulter, le gouvernement britannique envisagerait de laisser aux citoyens européens établis au Royaume-Uni le droit de rester, même en cas de no deal ainsi que de conserver leur accès au système de santé national (NHS). 3,8 millions de personnes sont concernées.
Il faut dire qu'il y a urgence, comme l'évoquait la semaine dernière The Guardian: dans une enquête auprès de 2.000 employeurs britanniques, ces derniers ont dû —face à la pénurie de travailleurs continentaux- augmenter les salaires… «En économie, tout choix fait des gagnants et des perdants,» rappelle David Cayla. L'économiste souligne que si certaines entreprises pourraient pâtir de ce type de conséquences du Brexit, l'économique britannique dans son ensemble pourrait y trouver son compte.
«Depuis 2000, elle a quand même perdu 30% de ses emplois industriels […] et, évidemment, sur ces emplois qui ont été perdus, une grande partie est aujourd'hui occupée par des travailleurs étrangers.»
Donc, évidemment, du point de vue des Britanniques —pas du point de vue de la compétitivité, pas du point de vue des patrons, mais du point de vue des ouvriers- ç'a été un désastre et il est clair que dans le referendum sur le Brexit, ce qui a beaucoup pesé, c'est justement cette immigration. Pas une immigration africaine, extraeuropéenne, mais des Européens de l'Est en particulier, puisque ceux-là dans le cadre du marché unique, le Royaume-Uni n'a pas le droit de les empêcher de venir, puisque c'est la libre circulation du travailleur.»
«Il faut juste avoir un ordre d'idées des chiffres: depuis les années 2000, en moyenne, il y a eu un solde migratoire positif de 250.000 personnes au Royaume-Uni, chaque année. C'est quand même la taille d'une agglomération moyenne française qui rentre au Royaume-Uni. C'est une immigration de travail, qui pèse parfois sur les salaires à la baisse, donc bien sûr cela pose un problème politique pour les électeurs et le personnel politique du Royaume-Uni.»
Au-delà de la construction ou de la restauration et de l'hôtellerie, la Finance est l'un des secteurs le plus concernés par le Brexit et étonnamment le plus évoqué par une presse française qui —même de gauche- s'apitoie sur le sort de ces banquiers expatriés qui reprenne la route du continent.
«Si le Brexit fait disparaître une partie de la finance britannique, bien que cela ne soit pas tellement sûr, je ne crois pas que les Britanniques seront perdants, si cela permet de remettre en place des politiques commerciales intelligentes qui permettent de relancer l'industrie»,
relativise David Calya, qui se dit «assez sceptique» quant à l'idée très répandue que le Brexit serait dévastateur pour l'industrie financière britannique. «C'est très peu d'emplois […] la finance, finalement, ce n'est pas ça qui va créer la richesse d'une économie développée comme celle du Royaume-Uni. Ce qui est important, c'est l'industrie, ce sont les services, ce sont les emplois.» Insiste-t-il.
Quelle que soit l'issue des négociations sur le Brexit, les organisations patronales anticipent la pénurie. Le CBI a en effet appelé à la mi-août Caroline Nokes, ministre de l'Immigration, à faciliter les démarches pour les résidents extraeuropéens, afin de permettre aux employeurs de «trouver des talents tout autour du monde».
Des plombiers pakistanais à la place des plombiers polonais, en somme?