Jour du jugement dernier: les révélations d’un des architectes du plan nucléaire des USA

C'est un véritable feuilleton de la folie de l'époque nucléaire: la maison d'édition russe Alpina Publisher vient de publier le livre The Doomsday Machine: Confessions of a Nuclear War Planner - les mémoires détaillés du dénonciateur légendaire qui avait publié en 1971 les Pentagon Papers sur la guerre de Vietnam.
Sputnik

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Daniel Ellsberg, qui a directement participé à ces événements, évoque le caractère dangereux et déraisonnable de la politique nucléaire des États-Unis, qui n'a guère changé depuis l'époque de la Guerre froide. Sputnik publie des extraits de ce livre évoquant pour la première fois les détails du plan qui prévoyait une frappe préventive contre l'URSS et le massacre de plus de 500 millions de personnes.

Un homme qui savait tout

«Quand j'avais à peine 30 ans, j'ai appris la fin possible de notre monde». C'est comme ça que Daniel Ellsberg décrit le jour où il a vu, dans le bureau de la Maison Blanche, un document destiné «personnellement au Président». A l'époque — au printemps 1961 — cette position était occupée par John Kennedy. Cette feuille de papier contenait la réponse à la question posée au Comité unifié des commandants des états-majors et formulée personnellement par Daniel Ellsberg au nom du chef de l'État.

«La question était la suivante: «Si vos projets d'onde globale [nucléaire, ndlr] se déroulaient comme prévu, quel serait le nombre de victimes en URSS et en Chine?» La réponse a été présentée sous forme de diagramme. L'ordonnée représentait les pertes en millions de personnes, et l'abscisse le temps en mois».

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Selon l'auteur, le nombre minimal se chiffrait à 275 millions de victimes, pour atteindre 325 millions six mois après. 

40 ans avant WikiLeaks et Edward Snowden, Daniel Ellsberg s'est distingué dans l'histoire comme l'homme qui a révélé les Pentagon Papers. En 1971, cet analyste militaire du Département d'État américain et employé de la corporation RAND (centre analytique menant des études pour le compte du gouvernement américain) a transmis à la presse des données secrètes concernant le comportement des dirigeants du pays au cours de la guerre du Vietnam. Ces révélations ont failli coûter sa liberté à Daniel Ellsberg, mais ont joué un rôle crucial dans l'arrêt des hostilités et la destitution de Richard Nixon.

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Les documents copiés par Daniel Ellsberg concernaient non seulement le Vietnam, mais aussi la menace de guerre nucléaire entre les États-Unis et l'URSS. Par un cruel jeu du hasard, ces données, qu'il avait transmises à son frère, ont été perdues après une tempête destructrice. Dans son livre, Daniel Ellsberg a compilé toutes les données connues grâce aux archives déclassifiées du Pentagone, les souvenirs d'anciens militaires et hommes d'État, ainsi que ses notes personnelles de cette époque. Son livre démonte plusieurs mythes répandus.

Le mythe du nombre de victimes

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Le jour où Daniel Ellsberg a vu ce diagramme maudit à la Maison Blanche, il a rédigé une autre question qu'on envisageait d'envoyer aux chefs des états-majors avec la signature présidentielle.
Ce texte demandait une estimation des pertes globales causées par les éventuelles frappes des États-Unis non seulement en URSS et en Chine, mais aussi dans d'autres pays.

«Selon les prévisions, encore 100 millions de personnes auraient dû périr au total en Europe de l'Est. La contamination radioactive aurait également pu tuer 100 millions de personnes en Europe occidentale: tout aurait dépendu de la direction du vent, définie grandement par la saison. D'une manière ou d'une autre, indépendamment de la saison, on envisageait la mort d'au moins 100 millions de personnes dans les pays neutres situés à proximité du bloc soviétique et de la Chine: la Finlande, l'Autriche, l'Afghanistan, l'Inde, le Japon…», indique Daniel Ellsberg.

La contamination radioactive qui aurait été causée par des frappes éventuelles contre les abris de sous-marins soviétiques de Leningrad aurait anéanti toute la population finlandaise, alors que les pertes provoquées par la première frappe américaine sur l'Union soviétique, les pays du Pacte de Varsovie et la Chine étaient estimées à 600 millions de personnes. 

«En fin de compte, c'est la fumée (et pas les pluies radioactives qui auraient principalement touché l'hémisphère nord) qui auraient eu des répercussions fatales: la fumée et la suie des incendies dans des centaines de villes auraient atteint l'atmosphère et auraient pu y rester pendant des décennies. Elles auraient noirci le ciel dans le monde entier en bloquant la lumière du Soleil, ce qui se serait soldé par la chute de la température globale jusqu'au niveau du dernier Âge de glace, par l'arrêt de la production agricole et la famine totale sous un ou deux ans», explique l'auteur.

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Il est certain que la mise en œuvre de ces projets au cours de la crise de Berlin ou des Caraïbes aurait tué beaucoup plus que 600 millions de personnes. La population restante (la Terre était à l'époque peuplée de 3 milliards d'humains) aurait été tuée par l'hiver nucléaire, ajoute Daniel Ellsberg.

Le mythe de l'absence de plans de première frappe

L'expert fait remarquer que les «systèmes stratégiques des États-Unis ont toujours été les forces de première frappe». Autrement dit, le plan nucléaire n'était pas élaboré comme une réponse à une agression de l'URSS, mais comme une stratégie offensive.
Les systèmes stratégiques n'ont jamais été un «moyen d'attaque surprise non-provoquée». «Malgré les dénonciations officielles, une frappe préventive «selon un signal d'alerte» (il s'agit soit d'une alerte tactique, soit d'une alerte stratégique concernant une escalade nucléaire imminente) a toujours été au centre de notre stratégie».

Le mythe de la mallette nucléaire

La croyance américaine en le fait que le chef de l'État était le seul responsable capable de prendre la décision de lancer une frappe nucléaire n'a aucun fondement non plus, affirme Daniel Ellsberg. Et il démontre qu'il s'agit d'un mensonge absolu.

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«En réalité, le Président n'est pas le seul à pouvoir prendre une décision en ce sens ou à pouvoir donner un ordre: il y a non seulement le ministre de la Défense ou le Comité unifié des chefs des états-majors du Pentagone (comme le pensent la plupart de ceux qui y ont réfléchi), mais aussi les commandants qui se trouvent à des milliers de kilomètres de Washington et estiment que leurs subordonnés sont menacés d'élimination».

Selon lui, les lettres contenant les codes nécessaires pour le lancement des armes nucléaires étaient disponibles chez tous les commandements des unités qui possédaient ces armements.

«Dans un contexte spécifique, un commandant quatre étoiles pouvait lui-même ordonner une frappe nucléaire sans aucune décision préliminaire du président», explique-t-il.

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Le mythe de la fin de l'époque nucléaire

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D'après l'auteur, la situation n'a guère changé depuis: le Président Trump reçoit de la part de ses conseillers militaires les mêmes données dont Daniel Ellsberg disposait dans les années 1960.

«Les éléments de base du bouclier nucléaire américain restent les mêmes qu'il y a près de 60 ans: des milliers de vecteurs d'ogives nucléaires en état d'alerte élevée visent principalement des cibles militaires russes, notamment les points de commandement situés dans les villes ou à proximité de ces dernières», souligne l'expert. L'explication officielle des autorités américaines réside dans la nécessité de dissuader la Russie de lancer une agression potentielle.

«Cette mise en scène largement affichée n'est qu'un mensonge délibéré. La dissuasion de l'Union soviétique et la réponse à une attaque nucléaire n'ont jamais été le seul ni le principal objectif de nos projets et préparatifs nucléaires», fait remarquer Daniel Ellsberg.

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«Le caractère, l'envergure et le placement de nos forces nucléaires stratégiques visaient toujours un objectif tout à fait différent: limiter les dégâts causés par la riposte de l'Union soviétique ou de la Russie en réponse à la première frappe des États-Unis sur l'URSS ou la Russie. Leurs capacités devaient notamment confirmer la réalité des menaces américaines de frappe nucléaire limitée ou de «premier recours» dans le cadre des conflits régionaux et initialement non-nucléaires impliquant l'Union soviétique, la Russie ou ses alliés», affirme Daniel Ellsberg.

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