Marvin Bonheur dit «Monsieur Bonheur» est un photographe autodidacte, graphiste de formation, originaire d'Aulnay-sous-Bois (93). Suite à la parution de sa série Alzheimer et armé d'un Olympus XA2, Monsieur Bonheur est revenu pour nous sur les traces de son enfance en Seine-Saint-Denis. Brute et mélancolique, cette série de clichés n'en est pas moins très poétique. Sputnik a voulu rencontrer le jeune photographe afin de mieux décomposer sa démarche artistique.
En regardant ta série Alzheimer on sent une multitude de sources d'inspirations, parfois antinomiques, peux-tu nous parler de tes influences?
Monsieur Bonheur: Mes influences proviennent principalement de la musique. Dans mon MP3, on peut trouver du Linkin Park, du LIM, du NAS et beaucoup d'Alpha 5.20. J'aime la musique expressive, parfois violente mais également mélancolique. J'ai énormément réfléchi, rêvé tout en écoutant de la musique. C'est encore le cas aujourd'hui. Mes projets sont souvent nés voire stimulés par la découverte d'un son, d'un artiste ou d'un album. J'aime le Post-Punk, les mouvements sociaux (anarchie, antifascisme, hippie), la poésie mais aussi le spirituel. Néanmoins, mes inspirations sont, elles, principalement issues de mes sentiments.
La France «périphérique» et la banlieue sont très présentes dans ton travail, comment l'expliques-tu?
Monsieur Bonheur: Mes inspirations étant issues de mon histoire cela impacte mes sujets qui tournent autour de mon parcours de vie et mon envie de retranscrire photographiquement les bonnes et mauvaises choses que j'ai pu rencontrer. Plus jeune, je m'exprimais essentiellement par le dessin mais plutôt par plaisir personnel. C'est à la fin de l'adolescence que je me suis posé des questions et l'art m'a servi d'outil pour les développer et tenter d'y répondre notamment grâce à la photographie et la série Alzheimer. J'ai d'abord eu l'envie de me trouver, de m'assumer, et par la suite de montrer et dénoncer.
Quels messages veux-tu faire passer avec ton travail?
Monsieur Bonheur: Que l'injustice, l'intolérance et la représentation de «l'autre» sont le cœur du problème. La photographie est pour moi un très bon outil pour combattre ces problématiques qui m'ont porté préjudice et qui ont été des épreuves particulièrement compliquées pour bon nombre de mes proches tout au long de mon enfance. Mon univers est une multitude de revendications, de par mes cadrages, le choix des sujets, le nom des séries, je dirais qu'environ 85% de mon travail est animé par l'envie de passer des messages.
Au-delà de l'architecture, tu prends beaucoup de personnes en photo, comment celles-ci accueillent ton appareil? Par exemple pour la série Alzheimer était-ce compliqué de prendre ces photos?
Monsieur Bonheur: Pour les portraits à proprement parler en banlieue, la série Alzheimer n'en contient pas énormément. Cela s'explique par de la pudeur car revenir à la cité après deux ans, la démarche était compliquée. Je ne voulais pas donner le sentiment de voler leur intimité ainsi que leur image.
Par ailleurs, je ne ressentais pas de plaisir à réaliser des portraits, peut-être que parce que je n'avais pas assez confiance en moi à ce moment-là. C'est pourquoi, les seuls qui ont eu le droit aux portraits sont de très bons amis d'enfance. De manière générale, je dirais que l'incompréhension était le premier sentiment, puis de la crainte et enfin de la curiosité. Certains refusaient avant même que j'explique ma démarche. Les médias nous ayant tellement salis et caricaturés, nous «jeunes» des banlieues, que la plupart sont devenus très réticents à l'idée de se montrer. Or, dans l'ensemble, après avoir écouté la genèse de mon projet, la grande majorité acceptait… timidement.
La banlieue et les quartiers sont souvent stigmatisés par les gens qui ne connaissent pas ces endroits, avec tes portraits penses-tu pouvoir faire évoluer le regard de manière positive sur les habitants de ces quartiers?
Monsieur Bonheur: L'image, c'est comme la parole, elle peut être manipulée et interprétée de plusieurs manières. J'essaie d'être le plus neutre possible. Je ne me positionnerais jamais comme un référent ou un représentant des quartiers. Certes, j'ai grandi dans une cité mais dans une maison avec deux parents salariés, je ne pourrai donc jamais me permettre de parler au nom de la population du 93 et d'ailleurs personne ne devrait s'en donner le droit.
En réalité, la vie de quartier est complexe et riche en histoire personnelle, deux personnes ayant vécu dans le même immeuble peuvent être et penser complètement différemment, c'est là où se situe mon positionnement. Je combats ces médias et personnes, qui pour diverses raisons, entretiennent et créent une image toute faite des quartiers avec des stéréotypes et caricatures. Bien évidemment, je ne dis pas qu'ils inventent un monde, je ne suis pas un peintre qui veut redorer l'image de la banlieue et en donner une vision angélique mais je travaille pour qu'elle soit vue telle que je la connais. En déménageant à Paris, des personnes qui n'avaient jamais mis les pieds en banlieue me décrivaient un lieu totalement étranger de l'endroit que je connaissais et me jugeaient à cause d'idées stupides que leur entourage ou les médias véhiculent. C'est révoltant!
Quelle est la photo ou la série photo qui te plait le plus ou qui a une signification particulière pour toi?
Monsieur Bonheur: Toutes! (rires). Si je suis forcé d'en choisir une, je dirais Alzheimer car c'est cette série qui a tout réveillé en moi. J'ai retrouvé le Marvin Bonheur originel et celui de demain. Alzheimer a été une thérapie personnelle à travers la photographie. J'espère qu'elle donnera de la confiance et de la motivation à de jeunes artistes et de la fierté aux miens qui se retrouveront dans mes déclarations et représentations photographiques.
Quelle est la suite pour Monsieur Bonheur?
Monsieur Bonheur: Je travaille sur la deuxième partie du projet d'Alzheimer, nommée Thérapie-Le visage des Oubliés, l'édition d'un book photo sur Alzheimer et un film documentaire sur la vie dans le 93. Pour le reste je ne m'avance pas encore mais… «Faire du sale!» car «9-3 tu peux pas test!» (Rires)