Ces atermoiements sont loin de constituer le cœur de l'affaire pour Christian Chesnot, journaliste spécialiste du Moyen-Orient retenu otage de terroristes en Irak durant 124 jours en 2004. D'après lui et comme le révèle Libération, citant un spécialiste du dossier, «cette opération humanitaire a été décidée à l'Elysée, pas au Quai d'Orsay». Le palais présidentiel semble vouloir prendre le contrôle du dossier syrien. Mais pourquoi?
«Emmanuel Macron a toujours plus ou moins gardé la main concernant la Syrie. Pourtant, cette décision de mener une opération humanitaire conjointe avec la Russie est un signe supplémentaire de l'inflexion dans la politique diplomatique de la France concernant la Syrie», explique Christian Chesnot à Sputnik.
Mais pourquoi ce revirement? Depuis le début du conflit syrien en 2011, la diplomatie française s'est presque toujours calquée sur celle de Washington et s'est montrée hostile au gouvernement de Damas. En avril dernier, Paris s'est joint aux Etats-Unis et au Royaume-Uni pour bombarder plusieurs sites en Syrie après une prétendue attaque chimique perpétrée par Damas. Pour Christian Chesnot, le rapprochement avec Moscou tenté par Emmanuel Macron s'explique par une analyse pragmatique de la situation sur le terrain:
«La Russie a gagné en Syrie. C'est un fait. Damas a repris quasiment tout le pays, les rebelles ont pratiquement été effacés du sud. La France s'est retrouvée hors-jeu. Elle veut revenir sur le terrain. Emmanuel Macron a juste analysé la situation de manière pragmatique et s'est dit que l'on entrait dans une nouvelle phase. Une phase où il faut renouer contact avec la Russie.»
Et pour le journaliste de France Inter, l'humanitaire est le prétexte parfait pour entamer un rapprochement:
«Depuis le début du conflit, la diplomatie française a eu deux constantes: la ligne rouge concernant l'utilisation d'armes chimiques et l'acheminement d'aide humanitaire. Cette opération conjointe avec la Russie donne l'occasion à Emmanuel Macron de renouer le dialogue tout en ne perdant pas la face.»
D'après Christian Chesnot, c'est une stratégie gagnant-gagnant. Il assure que les Russes sont «très contents» de ce possible rapprochement. «Moscou aura besoin d'alliés pour reconstruire la Syrie, qu'il y ait une transition au niveau du pouvoir ou pas. La Russie ne pourra pas le faire toute seule», analyse le journaliste.
Quid du «lobby néo-conservateur» au Quai d'Orsay, composé de «pro-Otan, pro-Etats-Unis, anti-Iran, anti-gouvernement syrien» comme le décrit Christian Chesnot? Et bien selon le spécialiste du Moyen-Orient, même s'ils voient d'un mauvais œil un rapprochement avec Moscou, ils n'auront pas d'autre choix que de suivre l'Elysée. Avant de conclure: «De toute façon, le pays qui les préoccupe le plus, c'est l'Iran.»