Pourquoi ont-elles valu des prix Nobel aux chercheurs qui les ont étudiées? A quoi ressemblent-elles aujourd'hui et quel sera leur avenir dans l'électronique? Éléments de réponse.
Comment tout a commencé: les électrons et les trous
Les diodes semi-conductrices, par contre, fonctionnent effectivement comme des soupapes qui permettent au courant de circuler dans un seul sens, et ce grâce à l'utilisation de différents matériaux.
C'est le contact entre deux ou plusieurs substances de composition différente qui constitue la base de tout appareil électronique. S'il est établi, disons, entre les parcelles d'un même semi-conducteur avec un contenu différent d'impuretés, c'est ce qu'on appelle la jonction p-n.
En ajoutant une impureté dans un cristal semi-conducteur pur, il est possible de décupler sa conductivité. En fonction de la combinaison des substances, le courant sera transporté soit par des électrons négativement chargés (de type n) soit par des trous positivement chargés (de type p).
Les impuretés sont introduites par différents moyens. Par exemple, pour créer des transistors bipolaires à silicium dont on trouve des millions dans le microprocesseur d'un ordinateur ou d'un smartphone, on utilise généralement l'implantation ionique — un bombardement d'ions accélérés dans le vide.
Malgré la simplicité de cette technologie, les jonctions p-n ont leurs défauts — une faible résistance aux températures élevées, par exemple. Même dans un semi-conducteur pur, des électrons et des trous naissent lors d'un réchauffement: cela signifie qu'un jour, le cristal "oubliera" la présence des impuretés, que la diode commencera à laisser passer le courant dans les deux sens, et que l'appareil cessera de fonctionner. Et les lasers fonctionnant sur les jonctions p-n ne marchent que quand ils sont soumis à la température de l'azote liquide.
En route vers le prix Nobel
C'est cette imperfection des jonctions p-n et le besoin global en lasers semi-conducteurs fonctionnant à température ambiante qui ont poussé les scientifiques à créer des hétérojonctions et des hétérostructures.
"Dans une hétérojonction s'allient deux substances cristallines, et l'espace où se déroule le contact doit être parfait, sans fissures et autres défauts", déclare Iouri Sibirmovski, ingénieur de l'Institut des nanotechnologies en électronique, en spintronique et en photonique (INTEL) à l'Université nationale de recherche nucléaire MEPhI (Institut d'ingénierie physique de Moscou).
"La différence de propriétés à cette limite engendre une multitude de phénomènes utiles. Et, contrairement à la jonction p-n, le réchauffement influence peu les propriétés des hétérostructures", explique-t-il.
Les semi-conducteurs typiques sont le silicium, le germanium, les alliages AIIIBV (par exemple, l'arséniure de gallium (GaAs) ou l'arséniure d'indium (InAs), ainsi que le phosphure d'indium (InP) et le Nitrure de gallium (GaN)). En combinant ces substances et leurs solutions ternaires, il est possible de faire varier de manière importante les propriétés électroniques et optiques des appareils.
En 1947, l'inventeur du transistor William Shockley a été le premier à proposer de réunir des semi-conducteurs différents dans un seul appareil. Puis les scientifiques soviétique Jaurès Alferov et allemand Herbert Krömer, indépendamment l'un de l'autre, ont réalisé une véritable percée en matière d'hétérojonctions dans les années 1960 — travaux pour lesquels ils partageront le prix Nobel de physique en 2000.
C'est cette solution qui a permis aux lasers semi-conducteurs de travailler sans interruption à température ambiante. Aujourd'hui ils sont utilisés absolument partout, par exemple, dans les lecteurs DVD.
Dans les années 1960, la mise en pratique expérimentale d'hétérojonctions parfaites semblait peu probable. Cependant, Jaurès Alferov et ses collègues ont tout de même réussi à trouver le système de matériaux GaAs/AlxGa1-xAs. Cet "hétéro-couple" est devenu la base non seulement des lasers, mais également des transistors à faible bruit intégrés dans les smartphones pour amplifier le signal.
La méthode MBE: entre la science et l'art
L'invention de la méthode de l'épitaxie par jets moléculaires (ou MBE pour Molecular Beam Epitaxy) est devenue la clé pour obtenir des hétérojonctions parfaites. L'accroissement de la structure par la méthode MBE se déroule grâce à l'évaporation de matériaux initiaux ultra-purs à partir de cellules séparées sur un substrat monocristallin chauffé dans des conditions pratiquement identiques au vide cosmique.
Grâce à l'ultravide et à une vitesse de croissance d'environ 1 couche atomique à la seconde, la MBE permet de contrôler avec une très grande précision la composition chimique et d'assurer des frontières atomiquement lisses entre les couches des hétérostructures.
"L'épitaxie apporte une liberté colossale de contrôle de la composition des couches et de combinaison des substances. Ici la science rejoint l'art, car à partir de quelques éléments chimiques il est possible de construire une multitude infinie d'hétérostructures diverses et variées", affirme Iouri Sibirmovski.
Les hétérostructures dans l'électronique
Les hétérostructures sont notamment d'actualité pour l'élaboration des MODFET, ou transistors à effet de champ à dopage modulé, très populaires dans l'électronique à micro-ondes — dans les systèmes de liaison satellite, les radars et les appareils mobiles.
Le principal avantage des MODFET est la vitesse de déplacement des électrons, qui assure une haute fréquence de commutation du transistor et permet de dépasser plusieurs dizaines de GHz, tout en ajoutant au système des matériaux à dopage modulé (GaAs, InAs) et en positionnant l'impureté en dehors de la couche conductrice.
Cependant, les dimensions des cellules cristallines InAs et GaAs ne coïncident pas. La croissance de l'InAs pur sur les substrats du GaAs provoque des fissures et ne permet pas d'obtenir un appareil fonctionnel. Alors que les substrats de l'InAs ne sont pas suffisamment solides.
C'est pourquoi l'élaboration de couches tampons permettant de créer une couche sans défauts de l'InyGa1-yAs avec la plus grande part possible d'InAs est devenue une tâche importante pour la physique des hétérostructures. On les appelle "structures MODFET pseudo-morphes" ou encore "structures pseudo-MODFET" — elles constituent aujourd'hui la base de la plupart des amplificateurs micro-ondes commerciaux.
L'éventuelle solution consiste à changer progressivement la part de l'InAs pendant le processus de croissance du substrat à la couche conductrice. Ces hétérostructures sont appelées métamorphiques.
En les étudiant, les spécialistes de l'INTEL du MEPhI, avec leurs confrères de l'Institut de l'électronique semi-conductrice à micro-ondes affilié à l'Académie des sciences de Russie, ont découvert que le meilleur effet n'est pas apporté par un changement progressif mais échelonné de la composition, avec des combinaisons de super-réseaux — de minces couches de quelques nanomètres d'épaisseur.
La solution est dans le design quantique
"Les couches conductrices étroites jouent, pour les électrons, le rôle de "puits quantiques". Les électrons sont capturés dans ces minces couches, sachant que leurs propriétés changent selon les lois de la mécanique quantique. Si le changement de la composition chimique du puits quantique homogène n'améliore plus les caractéristiques du matériau, la solution consiste à rendre plus complexe la construction en y ajoutant différents super-réseaux et nanocouches de composition hétérogène", déclare Ivan Vassilievski.
Le chercheur ajoute qu'il est possible d'augmenter efficacement la mobilité des électrons sans perdre leur concentration élevée, par exemple grâce aux nano-incorporations d'InAs à l'intérieur du puits quantique ou d'AlAs à l'extérieur de celui-ci.
"Durant le travail du laboratoire nous avons mis au point et créé des centaines de MODFET, de MODFET pseudo-morphes et de MODFET métamorphiques d'hétérostructures différents sur la base de l'InGaAs, et avons minutieusement analysé leurs propriétés, ce qui a suscité un vif intérêt des scientifiques du monde entier, faisant du MEPhI l'un des leaders de par le nombre de publications à ce sujet. Les résultats obtenus ont montré leur efficacité dans la pratique, dans l'élaboration des transistors à micro-ondes à faible bruit et d'autres appareils", note Ivan Vassilievski.
D'après lui, malgré la riche expérience d'application industrielle accumulée, ce matériau n'a pas encore atteint la limite de ses possibilités. Il est concurrencé, dans le développement de l'"électronique du futur", par les matériaux comme le graphène, le GaN, le SiGe, le SiC, qui promettent de nouveaux diapasons de fréquence, de grandes puissances et un travail à haute température.
Cependant, la création de structures de qualité et bon marché pour les appareils sur leur base nécessite de vastes recherches, c'est pourquoi les récents prix Nobel de physique ont été attribués au travail sur le graphène (2010) et le nitrure de gallium (2014).
Le MEPhI y travaille également. En 2018, de jeunes spécialistes de l'INTEL ont reçu le prix du gouvernement de Moscou pour l'élaboration de l'amplificateur à micro-ondes en GaN avec un refroidissement à base de graphène.
Le design quantique des hétérostructures à base d'arséniures et de phosphures pourrait constituer une alternative avantageuse au passage au nouveau matériau: il ne nécessite pas de recourir à des substrats coûteux, de maîtriser de nouvelles méthodes d'accroissement des cristaux et de complexifier le processus technique.