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Prélèvement à la source: révolution ou usine à gaz?

Comme bien d’autres pays avant elle, la France va passer l’année prochaine au prélèvement de l’impôt à la source. Bercy est-il prêt? Les entreprises vont-elles souffrir du supplément de tâches administratives que cela implique pour elles? Le fiscaliste Marc Wolf et l’économiste Jean-Marc Daniel sont les invités des Chroniques de Jacques Sapir.
Sputnik

Voulu par François Hollande, mis en place sous Emmanuel Macron, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu fera son apparition en janvier 2019. À la clé, une simplification administrative pour le contribuable qui fait la quasi-unanimité. Mais ce sont les modalités de la réforme qui divisent. Le fisc est-il entièrement préparé à ce bouleversement, ou l'exécutif s'est-il trop pressé dans une logique de communication? Est-ce l'occasion pour le gouvernement de supprimer des postes à Bercy en déléguant des tâches administratives aux entreprises? Les petites et moyennes entreprises pourront-elles tenir le choc de ce supplément de travail qu'elles devront faire à la place de l'État? D'ailleurs, peut-on aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'une forme de privatisation de la collecte de l'impôt?

Jacques Sapir et Clément Ollivier reçoivent Marc Wolf, avocat fiscaliste et ancien directeur adjoint à la Direction générale des Impôts, et Jean-Marc Daniel, économiste, professeur associé à l'ESCP Europe.

Pour Marc Wolf, l'un des enjeux principaux de cette réforme est le fait de prélever l'impôt en temps réel: «Actuellement, pour convaincre ceux qui souffrent de "phobie administrative" de se faire connaître et de déclarer leurs impôts, il faut des millions de journées agents. Si on inverse la logique, c'est-à-dire que vous payez d'abord et on discute ensuite, le rapport de conviction entre la collectivité et le citoyen contribuable est changé, dans le bon sens selon moi. Cela donne de la lisibilité à l'impôt. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que chaque année, il y a un million de foyers qui, pour cause de perte d'emploi, de congé parental, de départ à la retraite ou autre, se retrouvent avec une baisse de leurs ressources de plus de 30% et ont de la peine à payer l'impôt de l'année précédente.» Cependant, la manière dont est mise en place cette réforme ne convainc pas l'ancien fonctionnaire: «Aujourd'hui, je crois que l'administration est prête à 90%, mais les 10% qui restent vont créer beaucoup de désordre, parce qu'il y a eu sur cette affaire un choix essentiellement politicien. Il aurait fallu le faire par étapes, pas en claquant des doigts, un glorieux petit matin de janvier. Mais au lieu de discuter avec la société civile pour organiser un système intelligent, l'arrogance de Bercy sur ordre politique a fait un coup, et ils vont en assumer les conséquences… Ils vont se planter.»

Jean-Marc Daniel voit dans cette réforme une manière de transférer au privé des prérogatives de l'État: «Je trouve ça assez incroyable que l'État, qui refuse de vendre ses parts dans Air France ou Renault et continue de vouloir gérer un secteur industriel qui ne relève pas de sa logique, se mette à sous-traiter aux entreprises ce qui est le cœur de son métier: la collecte de l'impôt. Pour les entreprises, ça va représenter un coût, elles vont devoir adapter leur informatique, ça va même changer les relations au sein de l'entreprise. Par exemple, les gens qui sont persuadés d'avoir payé trop d'impôts, au lieu de se tourner vers le fisc, vont se tourner vers la DRH. Il y a eu aussi le précédent des amendes, on s'est mis à privatiser une partie de leur collecte, ça me semble illogique.»

Jacques Sapir interroge le fait que cette réforme arrive peut-être trop tard: «En cinquante ans, la structure de l'emploi a changé. On peut le déplorer, mais c'est une réalité: il y a une montée de l'auto-entreprenariat, de ce qu'on appelle l'uberisation, et un retour, en somme, à un équivalent de ce qu'on appelle en histoire économique le domestic system, par rapport à une époque où l'emploi était majoritairement assuré par de très grandes firmes. Il y aurait eu une grande logique à passer au prélèvement à la source quand on était encore dans une société massivement salariale, mais, aujourd'hui, avec le développement des PME et des TPE qui sous-traitent des tâches externalisées pour les grandes entreprises, ça va faire peser sur des petites entreprises d'une dizaine de personnes des coûts techniques très importants.»

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