Rencontre Trump–Poutine: quand la presse joue le jeu de l’État profond américain

Le sommet d’Helsinki devait marquer une reprise du dialogue entre Washington et Moscou. Ce fut sans compter sur la couverture de l’évènement: les journalistes des deux rives de l’Atlantique ont emboîté le pas aux faucons américains. Retour sur une fixation dangereuse des journalistes à l’encontre de Vladimir Poutine et Donald Trump.
Sputnik

Donald Trump a finalement cédé aux pressions, reniant le 17 juillet ses propos «conciliants» à l'égard de Vladimir Poutine. L'évènement était d'importance: le sommet d'Helsinki était la première réunion bilatérale russo-américaine en neuf ans, censée rétablir le dialogue entre deux pays. Mais la question d'un journaliste sur la supposée ingérence du Kremlin dans la campagne présidentielle de 2016 a littéralement mis le feu aux poudres aux États-Unis, où un apaisement des tensions avec la Russie ne semble pas à l'ordre du jour.

«J'ai confiance en mes services de renseignement, mais le Président Poutine a été très convaincant lorsqu'il a nié toute ingérence. Il a dit que ce n'était pas la Russie […] et je vais vous dire, je ne vois aucune raison pour cela le soit»,

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a ainsi répondu le locataire de la Maison-Blanche au correspondant de l'Associated Press (AP) qui lui demandait qui il croyait, entre les dénégations de Vladimir Poutine et les conclusions de ses services de renseignement au sujet de sa supposée «ingérence» dans le processus électoral américain. Un refus de Donald Trump de condamner son homologue russe, auquel s'ajoute la caution donnée à ce dernier plutôt qu'aux services de renseignement US, qui a immédiatement provoqué l'ire d'une bonne partie de la classe politique et médiatique outre-Atlantique.

Des propos «irréfléchis, dangereux et faibles» a fustigé Chuck Schumer, chef de file des démocrates au Sénat, s'indignant qu'un Président des États-Unis puisse soutenir un «adversaire» de l'Amérique. «C'est de la folie» a condamné pour sa part l'ex-Secrétaire d'État de Barack Obama, John Kerry. «C'est quoi votre problème?» interpellait encore, dans une vidéo rapidement devenue virale, l'ex-gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger.

Des critiques peu surprenantes de la part de partisans d'Hillary Clinton, selon laquelle sa défaite serait justement due à la manipulation — par La Main du Kremlin — d'un électorat américain peu averti.

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Du côté des Républicains, on montrera plus de retenue, à l'exception du sénateur Jeff Flake qui parlera de «honte», ou encore de Paul Ryan. Le chef des Républicains au Congrès, évoque ainsi une Russie «hostile à nos idéaux», finissant même par se dire «plus qu'heureux» à l'idée de renforcer les sanctions à son encontre. Sans surprise, là non plus, la palme de la critique revient à John McCain. Le vieux sénateur, infatigable parrain des «révolutions de couleur», n'hésite pas à parler de l'«une des performances le plus honteuses de l'histoire des Présidents américains».

Une critique d'un opposant notoire à Donald Trump qui, aux yeux des journalistes, finit de parachever la caution républicaine à ces critiques anti-Trump. Pour nos confrères, la classe politique américaine est ainsi «plutôt unanime», ou encore l'Amérique est de nouveau «unie» dans cette condamnation de l'attitude de Donald Trump vis-à-vis de Vladimir Poutine.

À ce florilège de condamnations politiques, particulièrement reprises par la presse, ajoutons celle de James Clapper. L'ex-directeur du renseignement américain de Barack Obama, qui avait tenté de prouver l'implication de la Russie au moyen d'un rapport lacunaire, condamnait au micro de CNN «une incroyable capitulation» de Donald Trump. Même son de cloche du côté de John Brennan, ex-patron de la CIA sous la présidence de Barack Obama, estimant qu'il ne s'agissait ni plus ni moins qu'un «acte de trahison» de la part du Président des États-Unis.

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Là encore sans surprise, les grands titres de la presse américaine emboîtent le pas de ces critiques et fustigent la «prestation» du locataire de la Maison-Blanche: «Trahison avérée» («Open Treason»), titre le quotidien d'opposition Daily News, avec en couverture une caricature d'un Donald Trump tenant d'une main celle de Vladimir Poutine et de l'autre tuant d'un coup de révolver le parti Républicain, «Trump préfère Poutine au Renseignement US» («Trump sides with Putin over US intelligence») pour CNN. Selon un édito du Washington Post, le Président américain aurait «ouvertement collaboré» avec la Russie.

Une ligne éditoriale acerbe envers le Président américain, que l'on retrouve jusque dans la presse européenne: «Trump s'aligne sur Poutine» titre Le Soir (Belgique), «Trump se couche face à Poutine après avoir humilié l'Europe» s'insurge El Mundo (Espagne).

Malgré une couverture dédiée au retour des «Bleus» qui occulte le reste de l'actualité, la presse française n'est pas en reste: «Ingérence russe: Donald Trump aux services de Vladimir Poutine» (Libération), «A Helsinki, Trump s'aplatit devant Poutine» (l'Express), «A Helsinki, Trump prend la défense de Poutine» ou encore «Les liaisons dangereuses de Donald Trump et Vladimir Poutine», retrouve-t-on dans le Le Monde qui dépeint un Trump qui «se range ouvertement du côté de Poutine».

Un suivisme des grands titres de la presse européenne sur leurs homologues outre-Atlantique, concernant un débat de politique intérieure américaine, qui interpelle.

En effet, rappelons que la presse américaine est partisane et avait dans une très large majorité pris fait et cause pour Hillary Clinton durant la campagne présidentielle de 2016. Comme le décomptait alors le correspondant à Washington de BFMTV, la candidate démocrate jouissait du soutien de 200 journaux américains contre 6 pour Donald Trump.

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Autre point surprenant, la manière dont des médias autres qu'américains présentent certains faits, en l'occurrence la fameuse «ingérence» russe dans les élections américaines. Pour les médias français, il ne fait en effet aucun doute que la Russie a bien déstabilisé la campagne électorale américaine. «Or, cette ingérence a été attestée de façon unanime par les enquêteurs du FBI et les agences américaines du renseignement», retrouve-t-on notamment dans L'Express.

Pourtant, comme nous l'avons déjà souligné à plusieurs reprises, après avoir lu ce «rapport» de 13 pages (dont sept issues d'un rapport de la CIA de 2012 sur les scores d'audience de RT sur les réseaux sociaux aux États-Unis) du Bureau du Directeur du renseignement national, les accusations à l'encontre de la Russie provenant des 17 agences de renseignement de la première puissance militaire du monde ne sont basées que sur leur «intime conviction»… Ces mêmes services de renseignement, dont certains (ex) responsables, s'étaient avérés peu avares en efforts dans l'espoir de déclencher une procédure de destitution de Donald Trump.

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Face à de telles «preuves», même la fiole brandie par Colin Powell devant le Conseil de sécurité de l'ONU en 2003 était plus convaincante. Heureusement pour nos chers confrères, le ridicule n'a pour l'heure jamais tué.

S'ajoute à cela la reprise par certains articles des propos d'experts des États-Unis interrogés sur la perception du public américain de la sortie de Trump à Helsinki. Corentin Sellin, Coauteur de Les États-Unis et le monde de la doctrine de Monroe à la création de l'ONU: (1823-1945) (Éd. Atlande, 2018) évoque pour 20 minutes la «vassalisation» de Trump à Poutine. Pour Libération, Martin Quencez, chercheur au German Marshall Fund à Paris lâche:

«Cela a choqué beaucoup d'Américains, certains estiment même que cette conférence de presse mériterait à elle seule de lancer une procédure de destitution».

Des experts qui cependant prennent le contrepied des journalistes, évoquant une base électorale Républicaine plus proche de Donald Trump que les médias ne veulent bien le laisser transparaître.

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Malgré tout, en moins de 24 heures toutes les pistes- plausibles ou non —ont été passées au crible par les journalistes afin d'expliquer ces propos «conciliants» du Président américain à l'encontre de son homologue russe: de l'accord secret passé avec Vladimir Poutine au chantage à la sextape, en passant par le complexe que Donald Trump pourrait éprouver à reconnaître ne pas avoir remporté les élections sans l'aide de Moscou.

Fréquemment évoquée par les journalistes, une soi-disant volonté de la Russie de replonger le monde dans la Guerre froide, tout particulièrement à cause du passé de Vladimir Poutine dans les services, la déformation de ses propos sur la chute de l'URSS ou encore la «réhabilitation de Staline» qu'il insufflerait au peuple russe.
Peu de choses en revanche sur les nécessités de la realpolitik, qui ont peut-être poussé Donald Trump à ne pas insulter publiquement son homologue russe lors d'un sommet destiné à apaiser des tensions, quitte à ne pas céder sur le fond des dossiers.

Relevons aussi que peu de commentaires ont relevé la mainmise de l'État profond (Deep state) sur la politique étrangère aux États-Unis et des intérêts qu'il trouve dans la l'exaspération des tensions internationales… Sans parler de la constitution de classe politique américaine elle-même, à l'image d'un Congrès suspendu à l'état de santé de ses membres. Parfois présenté comme une «gérontocratie», le pouvoir américain est entièrement organisé autour de décideurs ayant fait carrière sous la Guerre froide et n'ayant —pour la plupart- jamais abandonné l'état d'esprit qu'ils en ont hérité.

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