Illusions d'optiques, embuscades et autres ruses: zoom sur les techniques des prédateurs

Quand on ne possède pas de crocs ni de griffes, il n'est pas évident de se nourrir: le boa pousse sa proie à la crise cardiaque, les pieuvres utilisent la ruse militaire, alors que la seiche se fait passer pour un bernard-l'hermite. Tour d'horizon des méthodes de chasse les plus étonnantes à l’œuvre dans la nature.
Sputnik

La principale stratégie de chasse des prédateurs consiste à tendre une embuscade, en surgir, rattraper sa proie, la saisir et la mordre. Ce comportement, inné chez différents animaux, est lié au fonctionnement de l'amygdale du cerveau. En stimulant ses neurones, même les plus «pacifiques» se jettent sur tout ce qui bouge — leurs proies habituelles mais aussi des objets pas du tout comestibles. Par exemple, si l'on stimule les amygdales des rats, ces derniers s'attaquent aux bouchons des bouteilles en plastique.

Mais certains prédateurs se comportent autrement.

Quand la proie dévore le chasseur

On sait que les grenouilles se nourrissent d'insectes, les serpents de grenouilles, et les oiseaux et d'autres animaux de serpents. C'est une chaîne alimentaire classique. Mais il peut y avoir des dysfonctionnements. Par exemple, les carabidés agressifs de la famille Epomis consomment cinq types d'amphibiens: le crapaud vert (Bufo viridis), la rainette du Moyen-Orient (Hyla savignyi), la grenouille verte de Bedriaga (Rana bedriagae), le triton d'Asie mineure (Triturus vittatus) et la salamandre de feu (Salamandra salamandra infraimmaculata).

Les insectes adultes chassent les amphibiens de manière assez traditionnelle: ils tendent des embuscades et paralysent leur victime par une morsure dans le dos.

Mais leurs larves adoptent une stratégie différente: elles se font passer pour des proies inoffensives et, quand une grenouille tente de les manger, elles s'accrochent fermement à leur gorge. Ces dernières ne peuvent pas s'en libérer et les larves les dévorent tout cru.

Toutefois, selon les chercheurs de l'université de Tel-Aviv, les amphibiens ont parfois de la chance. A l'étape précoce de son développement, une larve peut accidentellement relâcher sa victime, lui laissant seulement une grande cicatrice. Mais si la larve est au milieu ou à la fin de son développement, les chances de survie sont nulles: les carabidés ne s'arrêteront pas avant d'avoir dévoré leur proie jusqu'aux os.

Victimes d'une illusion optique

Les seiches changent leur stratégie de chasse en fonction des circonstances. Les scientifiques ont découvert que la mémoire épisodique permettait à ces mollusques de profiter de leur expérience de vie. L'animal choisit ainsi le meilleur moyen pour attirer différents poissons: prendre la forme d'une pierre, d'une algue ou même d'un bernard-l'hermite.

Le fait est que le succès de chasse de la seiche dépend de la proximité de la proie. En voyant un petit crustacé ou un petit poisson, elle lance deux tentacules. Après avoir capturé la proie, elle l'entraîne vers son bec chitineux capable de briser même la coquille d'un petit mollusque. Si la proie est éloignée, la chasse ne sera probablement pas fructueuse: les poissons nagent plus vite que les prédateurs céphalopodes.

C'est pourquoi, dans l'espoir d'attirer ses victimes plus près, la seiche mimétise l'environnement. Grâce à ses cellules pigmentées spéciales — des chromatophores, dont l'activité est régulée par le système nerveux — le prédateur change de couleur en moins d'une seconde.

Sepia pharaonis

Certains représentants de la famille des sépidés vont plus loin. Ils imitent même les mouvements et le comportement des animaux pour lesquels ils se font passer. Par exemple, pendant la chasse, la Sepia pharaonis prend la forme d'un bernard-l'hermite: elle replie ses tentacules pour qu'elles ressemblent à des pinces et se déplace latéralement. Les chercheurs pensent que cela induit en erreur les poissons crédules, tout en agissant comme une protection contre les prédateurs.

Tueur tendre

Contrairement aux seiches, les pieuvres ne pressent pas les choses: elles attendent patiemment leur victime en embuscade, et quand celle-ci arrive à proximité elles l'attrapent avec leurs huit tentacules à la fois. Mais ce n'est pas le cas de la pieuvre rayée du Pacifique.

Si la proie (une crevette ou un petit poisson) s'approche suffisamment près, le céphalopode tend un tentacule et pousse légèrement sa victime dans le dos. L'animal effrayé tente de se sauver en se dirigeant du côté opposé, où l'attendent déjà les sept autres tentacules et un puissant bec (comme chez les perroquets).

Larger Pacific striped octopus

Les scientifiques de l'université de Californie à Berkeley ont observé les pieuvres de cette famille se nourrir mutuellement en unissant leur bec et en s'entourant de leurs tentacules. Certains couples partageaient ainsi leur nourriture pendant trois jours consécutifs.

La crise cardiaque

Les boas — il peut s'agir de petits serpents d'un demi-mètre, d'immenses pythons réticulés ou d'anacondas de 8 mètres — chassent à première vue sans ruse: ils tendent une embuscade et se jettent sur leur victime, l'entourent et l'étouffent. Cependant, tout n'est pas si simple.

En 2012, des chercheurs ont enfin réussi à se retrouver à l'épicentre de la chasse de ces serpents. Les biologistes du collège de Dickinson (USA) ont proposé à un boa constrictor affamé un rat mort depuis plusieurs jours mais réchauffé jusqu'à 38°C avec un appareil spécial sur la poitrine imitant le pouls cardiaque.

Le boa s'est jeté immédiatement sur la proie pour l'étouffer. Tant que le «cœur» de cette dernière battait, le serpent serrait le rat en renforçant sa prise périodiquement. Quand le pouls disparaissait, la pression diminuait. Les experts ont conclu que pour chasser, le boa se référait au pouls de sa victime.

Trois ans plus tard, ce même groupe de recherche a déterminé qu'en réalité les boas n'étouffaient pas la victime, mais essayaient de stopper son flux sanguin. Cette fois, les biologistes ont introduit dans les rats de laboratoire des capteurs spéciaux pour suivre la fréquence cardiaque et la pression sanguine dans les grands vaisseaux. Puis les rongeurs étaient insensibilisés et laissés à la merci des serpents.

Boa constricteur

Il s'avère que la circulation sanguine des victimes cessait seulement quelques secondes après qu'ils avaient été saisis par les boas. L'oxygène n'arrivait plus aux organes et aux tissus, le sang des veines ne pouvait plus revenir au cœur. Les battements du cœur s'accéléraient et le taux de sodium décuplait dans le sang — ce qui indique généralement une crise cardiaque.

Une bande de boas

La vision des boas comme des chasseurs solitaires n'est pas tout à fait juste. Vladimir Dinets, biologiste de l'université du Tennessee à Knoxville, a observé à Cuba des représentants de l'espèce Chilabothrus angulifer coordonner leurs actions pendant la chasse pour améliorer leurs chances de succès.

Les boas cubains se nourrissent essentiellement de chauves-souris. La seule chance d'attraper une proie est quand elle s'envole d'une grotte. Pour cela, les reptiles s'installent devant l'entrée de sorte à la bloquer complètement. Selon les observations de Vladimir Dinets, plus les serpents sont nombreux, plus la chasse est efficace. Quand un seul boa attendait une chauve-souris, il lui fallait en moyenne 19 minutes pour en saisir une. Alors que trois serpents étaient généralement rassasiés en 7 minutes.

Epicrates angulifer

D'ailleurs, avec le temps, les chauves-souris ont également changé de comportement: elles ont commencé à quitter la grotte strictement au centre et sous le plafond pour éviter de tomber sur un serpent.

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