Europe de la Défense: «les mesurettes idéalistes» de Merkel et Macron face à l’OTAN

«L’Europe de la Défense avance». La Ministre des Armées, Florence Parly, se félicite des propositions réalisées par le couple franco-allemand lors de leur réunion à Berlin ce 19 juin. Alors que le contexte international semble être favorable, et à quelques jours du prochain sommet de l’OTAN, l’Europe de la Défense va-t-elle vraiment voir le jour?
Sputnik

«Des trois propositions qui viennent d'être faites, la plus irréaliste est bien l'idée d'une Europe de la Défense.»

Après avoir analysé les deux principaux thèmes —immigration et zone euro- abordés par Emmanuel Macron et Angela Merkel lors de leur rencontre du 19 juin dernier, Christophe Réveillard, enseignant chercheur à l'Université de la Sorbonne et à Science-Po, s'attaque à l'une des mesures phare du gouvernement actuel, et rappelons-le, du précédent, le rêve tant évoqué de l'Europe de la Défense. Cependant, le contexte actuel (terrorisme islamiste, instabilité au Proche et au Moyen-Orient, Brexit et surtout la présidence américaine de Trump) laisse à penser que cette idée pourrait vraiment être appliquée, d'autant plus que notre ministre de la Défense, Florence Parly, la proclame haut et fort:

​«L'Europe de la Défense avance» donc. Tout d'abord sur le plan des coopérations industrielles autour de matériels communs, la France et l'Allemagne s'engagent donc une nouvelle fois à produire ensemble afin d'être davantage performantes sur les équipements militaires du futur. Mais la France et l'Allemagne ne sont pas l'Europe comme le rappelle Christophe Réveillard:

«On a des convergences industrielles sur des opérations commerciales de l'industrie de défense, cela est très vrai. Mais déjà ces convergences intègrent quelques pays européens, mais ne se font pas à l'échelon de l'UE elle-même. Les projets dits européens sont généralement des projets de trois ou quatre pays, puisqu'il n'y a que trois ou quatre pays de l'UE qui ont des industries de défense à niveau.»

Il est juste de considérer que la plupart des pays membres de l'UE ne possèdent aucune industrie de Défense digne de ce nom et se permettent même d'acheter américain plutôt que français pour leur armée et préfère investir dans un projet de développement américain plutôt qu'européen, comme le rappelle le choix belge pour le F-16 et celui de son remplacement, peut-être par le F-35 américain. Un programme aéronautique auquel participent à différents niveaux le Royaume-Uni, l'Italie, les Pays-Bas la Norvège et le Danemark, pour ne citer que les partenaires européens.

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Cependant, il convient de préciser que la Commission européenne a annoncé le mercredi 13 juin dernier que 13 milliards d'euros seront alloués au Fonds Européen de Défense (FED) sur la période 2021-2027, créée il y a tout juste un an. Le but affiché est évidemment de réduire l'obligation actuelle des pays de l'UE de s'équiper avec du matériel américain, faute de produits français, allemands, anglais ou italiens. Le rapporteur du texte, la députée européenne Françoise Grossetête, s'en était donc félicité:

«C'est une étape historique de la construction européenne. Il s'agit du premier texte législatif dédié à l'Europe de la défense, un sujet dont il y a quelque temps encore, personne au sein de l'Europe ne voulait entendre parler.»

«Historique»! Le mot était lancé. Nonobstant, il convient de rappeler qu'en décembre dernier, un colloque dédié à l'Europe de la Défense avait invité en «guest-stars» trois piliers de l'industrie militaire américaine (Raytheon, UTC et Bell Helicopters), qui, précisons-le, avaient sponsorisé l'évènement. Mais si le matériel a son importance dans un tel projet, Florence Parly évoque aussi «le début de l'autonomie stratégique européenne». Christophe Réveillard ne partage cependant pas son avis:

«L'UE est dans l'incapacité de produire une stratégie. Si vous lisez la stratégie qui a été édictée par Frederica Mogherini, qui reprend celle de Javier Solana, vous avez en fait, un copié-collé des objectifs de l'OTAN. À partir du moment où vous créez un système de défense, il faut au préalable avoir une stratégie. Nous n'avons pas de stratégie.»

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En 2018, l'UE n'aurait donc comme stratégie que celle de l'OTAN. La situation dans les pays de l'Est, pays baltes et Pologne en tête, met en lumière cette dépendance otanienne. En effet, si l'URSS est morte et enterrée depuis 1991, les anciennes républiques de l'État soviétiques ne cessent de manifester leur inquiétude face à leur puissant voisin et finalement de reprendre le champ lexical de l'Organisation atlantiste. Ajoutons aussi la France et l'Allemagne, qui en leader seraient censés développer une stratégie, ne peuvent le faire s'ils continuent à se positionner toujours contre la Russie comme ils l'ont fait récemment pour l'Ukraine. Mais finement, comment pourraient-ils développer une stratégie commune alors que leurs intérêts politiques et géostratégiques sont divergents?

Cependant, si la stratégie fait défaut, c'est bien l'incapacité militaire, l'incapacité de projection qui manque aux pays membres de l'UE pour créer une véritable Europe de la Défense:

«Les mesurettes qui viennent d'être prises ne sont que des faux-semblants, surtout en termes d'intervention. Je vous rappelle que la seule grande idée de défense qui avait été les forces d'intervention à 50.000 hommes sur plusieurs semaines, a été non seulement stoppée rapidement par un manque de dynamique. Et cette idée et ses systèmes ont été récupérés par l'OTAN, qui l'a mis en place.»

Christophe Réveillard ajoute pour conclure:

«Quand vous échangez avec un officier français, qui est en opération extérieure et dont, sur les dix prochaines opérations extérieures, cinq se feront en conformité avec l'OTAN, et que vous lui parlez de l'Europe de la Défense, il vous rit au nez. Il demande pourquoi faire à partir de moment où ce que nous faisons dans l'OTAN fonctionne, et à une échelle largement supérieure, pourquoi le ferions-nous et de façon moins bien avec l'UE et des armées qui ne sont pas coordonnées à cet échelon?»

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