Un Suédois décide de se rendre à pied dans la bande de Gaza et voilà pourquoi

Un grand jeune homme basané, ressemblant à première vue à un habitant typique du Moyen-Orient, est déjà devenu populaire après quelques jours de séjour au Liban. La plupart des gens qui rencontrent ce Suédois lui posent toujours la même question: pourquoi aller à pied dans un pays où la situation n'est pas calme, en Palestine?
Sputnik

Un correspondant de Sputnik a rencontré le citoyen suédois Benjamin Ladra, 25 ans. Pendant l'interview, le jeune voyageur et militant des droits de l'homme a parlé de sa famille, des motivations de cette «action», de l'attitude envers lui dans différents pays et de la manière dont il compte se rendre dans la bande de Gaza.

Un hôte inhabituel

La matinée commence au téléphone. Le jour se lève seulement dans la rue. Pendant le mois du Ramadan, au Liban, les komsomols sont probablement les seuls à ne pas dormir. Au bout du fil: la voix du leader du mouvement komsomol local.

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Il raconte que ses camarades ont rencontré il y a quelques jours à Tripoli (au nord du Liban) un Suédois arrivé de Turquie voulant se rendre à pied en Palestine. Nous nous mettons d'accord pour nous rencontrer au siège de la jeunesse communiste le soir, dès que le voyageur arrivera à Beyrouth.

Les militants ont organisé un accueil hospitalier pour le pèlerin à qui ils ont proposé de l'aide, de la nourriture, du café et un endroit où dormir. Benjamin a refusé d'y passer la nuit en disant qu'il avait des amis qui l'attendaient à Beyrouth.

Dans un anglais fluide, ce grand jeune homme raconte volontiers son périple pédestre. Plusieurs choses révèlent sa destination, la Palestine: le symbole sur son t-shirt, la carte de la Palestine sur une chaîne d'argent, les couleurs du drapeau palestinien sur son bracelet. Même les Palestiniens qui vivent au Liban ne montrent pas aussi explicitement leur amour et appartenance à la patrie qui leur est fermée.

Faire connaissance avec la Palestine

«Pratiquement toute ma vie j'ai fait de la musique, mais je suis également un activiste — un combattant pour les droits de l'homme. Je me préoccupe des gens. Quand je travaillais en tant que bénévole à la Croix-Rouge, l'un de mes collègues était un réfugié de Palestine, il vivait dans un camp pour réfugiés en Syrie, et quand la guerre y a commencé aussi il est parti. Aujourd'hui il est en Suède. Nous avons parlé avec lui des réalités, du fait que les Palestiniens qui avaient fui en 1947 en Syrie et dans d'autres pays restaient des réfugiés — c'est une tragédie. J'ai commencé à analyser davantage le thème de la crise palestinienne, j'ai lu des livres et regardé des documentaires. Au final, j'ai décidé d'y aller pour tout voir de mes propres yeux — c'est le meilleur moyen de savoir ce qui se passe en réalité», répond calmement Benjamin à la question de savoir comment il a pris connaissance de la situation en Palestine.

A la fin des années 1940, de nombreux Palestiniens ont fui dans les pays voisins — en Syrie, en Jordanie et au Liban. Très récemment, le plus grand camp de réfugiés palestiniens en Syrie au sud de Damas, Yarmouk, est devenu mondialement célèbre. En 2015, ce camp avait été pris par les terroristes de Daech et l'armée syrienne n'a réussi à le libérer qu'en mai 2018.

Des racines arabes

En parlant de son passé, le jeune pèlerin précise qu'il est «mélangé». Le grand-père de Benjamin du côté de sa mère était un réfugié finlandais qui a fui pendant la guerre d'hiver entre la Finlande et l'URSS. «A l'époque, de nombreux Finnois envoyaient leurs enfants en Suède, loin de la guerre», explique le jeune homme. Sa grand-mère du côté de sa mère est Tunisienne, et son père est Algérien.

«J'ai grandi avec ma mère. Ils se sont séparés quand j'étais encore enfant. J'ai grandi comme un Suédois normal. Je n'ai aucune expérience de réfugié malgré le passé aussi mélangé de ma famille. Il y a beaucoup de gens en Suède avec des racines différentes, c'est pourquoi, dans notre pays, nous ne demandons pas d'où nous venons, nous sommes tous des Suédois», poursuit le jeune homme aux racines arabes.

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Il y a plus d'un an, le «combattant pour les droits de l'homme» s'est déjà rendu en Israël. Comme de nombreux autres touristes, il s'y était rendu en avion. Mais l'activiste a décidé d'effectuer son premier voyage avec utilité au lieu de se détendre à la plage. «J'ai monté un projet musical à Naplouse — je jouais dans des camps de réfugiés et dans des écoles. Je jouais avec d'autres musiciens de différents pays, chacun présentant ses chansons traditionnelles, nous jouions pour les Palestiniens et des Palestiniens jouaient avec nous. Il y avait des gars de Suède, de France et d'autres pays», se souvient Benjamin.

La «méchante» Allemagne et l'«étrange» Turquie

Il a préparé sa nouvelle visite en Palestine pendant près d'un an, et a mis de l'argent de côté pour son périple afin d'acheter les équipements nécessaires.

«Tout en menant cette action pour la Palestine, je vérifie en parallèle mes capacités. J'ai parcouru 4.400 km en 10 mois. Le 5 août (2017) j'ai commencé ma marche en parcourant 12 pays. Chaque pays parcouru m'intéresse à sa manière. Mais la Turquie m'a paru très intéressante. Je savais peu de choses sur ce pays auparavant. Les gens sont intéressants et il y a beaucoup d'histoire. Ils sont pour la Palestine, mais dans un sens qui ne me plaît pas… Ils s'inquiètent pour la mosquée al-Aqsa plus que pour le reste de la Palestine. Peu de gens, parmi ceux que j'ai rencontrés, connaissent vraiment la Palestine. Certains ont été surpris que je sois préoccupé par la Palestine», partage le jeune homme suédois.

Ce dernier a pris pleinement conscience qu'il n'était pas perçu comme un Suédois en Europe après avoir parcouru à pied plusieurs pays, dont l'Allemagne. «En Allemagne l'attitude était répugnante, j'y suis passé en période d'élections. Les posters de campagne d'un parti parlaient de terrorisme et de musulmans… Certains pensent que je suis musulman à cause de ma couleur de cheveux, d'autres concluent que je suis juif à cause de mon prénom. En réalité je ne suis pas religieux», dit-il.

Les réseaux sociaux

En neuf mois, le voyageur a ajouté de nombreux amis sur les réseaux sociaux. D'après l'activiste, avant le début de son périple il n'avait aucune page sur internet. Le Suédois a décidé de créer un compte Instagram et Facebook en parcourant une partie du chemin. A l'heure actuelle, il a plus de 20.000 abonnés. En parlant d'amis, le jeune homme montre sur son écran le chiffre «plus de 1.000» — ce sont les demandes d'amis en attente. L'activiste ne cache pas que parmi les abonnés figurent également des personnes malveillantes et des critiques, «mais la plupart me soutiennent» estime-t-il.

«En parlant de soutien, ma mère ne m'a pas compris au début. Mais elle suit mes réseaux sociaux et regarde les vidéos, filmées notamment avec un drone. Elle a appris beaucoup de choses sur la Palestine et ce que je faisais, et à présent elle comprend et elle est fière de moi. Comme de nombreux Suédois, elle n'avait aucune idée de la situation en Palestine. Maintenant, je peux dire que j'ai ouvert les yeux au moins à une personne — à ma mère. Plusieurs millions de personnes regardent mes vidéos actuellement, et ce n'est que le début. Je ne fais pas tout cela pour moi et peut-être même pas pour la Palestine concrètement, je le fais pour les droits de l'homme. En Europe, la plupart des gens n'ont aucune idée de ce qui se passe en Palestine, et quand je le racontais, beaucoup pleuraient, ils étaient sous le choc. Ils ne regardent pas les médias palestiniens et ne savent pas ce qui s'y passe», note le «blogueur populaire» sur l'importance des réseaux sociaux.

La frontière israélienne — une tâche difficile

En partant au Liban, Benjamin savait que la frontière avec Israël y était fermée depuis longtemps et que personne ne l'ouvrirait spécialement pour lui. En retirant ses forces du sud du Liban, Israël a érigé un mur le long de sa frontière avec une ligne à haute tension, et les portails à la frontière sont constamment surveillés par des garde-frontières. Mais récemment, le voyageur s'est tout de même rendu vers la frontière nord d'Israël simplement pour la voir le plus près possible, après quoi il tentera de rejoindre la «terre promise» via d'autres pays.

«Aujourd'hui je suis arrivé jusqu'à Beyrouth. Malheureusement, j'ai dû parcourir une partie du chemin de Turquie au Liban par bateau. C'est impossible, très risqué de le faire à pied à cause de la guerre en Syrie. Devant moi se tient l'étape la plus difficile: arriver jusqu'en Palestine. J'ai analysé comment le faire. Initialement, je pensais aller jusqu'en Égypte pour traverser par le Sinaï, j'avais aussi l'idée de passer par la Jordanie — la distance maritime est très réduite et je pensais même la franchir à la nage, j'ai entendu parler d'un homme qui l'avait fait, mais je suis un mauvais nageur et c'est une mauvaise idée. Et je n'ai pas trouvé de bateau non plus. On m'a parlé d'un navire reliant la Turquie et l'Égypte. Mais cet itinéraire n'existe plus. Je ne veux pas prendre l'avion. Un Égyptien m'a dit pendant un café à Ankara de partir au Liban pour rejoindre l'Égypte par le ferry. J'ai donc décidé de venir ici, mais il s'avère qu'il n'y a pas non plus de bateaux pour l'Égypte, malheureusement. Je ne regrette pas d'être venu ici. Beaucoup de choses y sont liées à la Palestine et de nombreux réfugiés (palestiniens) vivent au Liban».

En entendant les options pour se rendre en Israël, les komsomols libanais tentent de convaincre l'hôte que le chemin le plus rationnel et logique serait de se rendre un avion vers la Jordanie pour se rendre ensuite à pied à la frontière ouverte. Il reste impossible de le faire à pied depuis le Liban parce que la situation est encore dangereuse au sud de la Syrie.

Benjamin le reconnaît à contrecœur et décide de garder l'option la plus difficile s'il est impossible de passer par la Jordanie.

La percée depuis l'Europe

«Il y a également un chemin illégal partant de Suède et de Norvège — je connais des gars qui tentent de se rendre dans la bande de Gaza par bateau. Ce sont des activistes, ils cherchent à percer le blocus pour arriver dans la bande de Gaza et ils ont le droit parce que c'est un territoire palestinien», raconte-t-il.

Benjamin sait qu'il pourrait être arrêté en Israël et expulsé. Mais le jeune homme, sûr de lui, reste disposé à s'y rendre pour parler au plus grand nombre de personnes possible et raconter leur histoire sur les réseaux sociaux.

«J'écrirai sur les réseaux sociaux. Si je devenais témoin de crimes de soldats israéliens, j'essaierais de le montrer au public le plus large possible. Je dois recueillir un maximum d'informations, notamment en rencontrant des gens. A mon retour, je montrerai et je raconterai tout», poursuit-il.

«Est-ce que les Israéliens peuvent m'arrêter? Je ne pense pas, ils peuvent essayer, bien sûr. Mais que diront-ils au gouvernement suédois et aux médias internationaux? Qu'un activiste suédois a marché de Suède en Palestine pour la protection des droits de l'homme et contre l'occupation, et a été arrêté par des soldats israéliens? Pour quel motif? Je suis convaincu que certains médias lanceraient une vague de protestation à cause de ça. Peut-être que pour la cause, je pourrais passer un mois ou un an en prison là-bas si cela attirait davantage d'attention sur la Palestine. Je n'ai rien contre les Israéliens ou les juifs, je suis contre la violence et le meurtre», explique le «combattant pour la justice».

A son retour en Suède, le militant des droits de l'homme compte passer un accord avec des écoles et des universités. Il voudrait partager avec les étudiants son histoire sur la Palestine et les droits de l'homme.

Une situation tendue

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Durant les mois du voyage de Benjamin, la situation est devenue plus tendue en Israël, notamment à Jérusalem. Après le déménagement de l'ambassade des USA de Tel-Aviv à Jérusalem, des milliers de Palestiniens ont manifesté. Selon les médecins palestiniens, plus de 100 habitants de l'enclave ont été tués, 13.300 personnes ont été blessées par des balles et le gaz, dont 300 restent dans un état grave. Les médias arabes continuent de rapporter la mort d'activistes palestiniens.

Israël considère Jérusalem comme sa capitale «unie et indivisible», y compris ses quartiers Est et le centre historique repris il y a 50 ans à la Jordanie et annexés par la suite. La majeure partie de la communauté internationale ne reconnaît pas l'annexion et considère Jérusalem-Est et la Cisjordanie comme des territoires occupés.

Le temps nous dira si un simple Suédois réussira à attirer l'attention du public européen sur la crise palestinienne. Et l'espace d'un instant, il détourne son regard pour songer à ce qui pourrait réellement l'attendre de l'autre côté de la frontière libanaise.

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