Deux poids, deux mesures? Deux guerres civiles sont en cours au Moyen-Orient, celle en Syrie, dont les médias ont beaucoup parlé depuis 2011, et celle au Yémen, dont on entend moins parler en Europe. Pourquoi? Plusieurs raisons peuvent être évoquées: l'éloignement géographique, un nombre moins élevé de morts et de réfugiés et surtout l'alignement français sur la position de l'Arabie saoudite.
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Pour Philippe Moreau-Defarges, ancien diplomate et spécialiste des questions européennes, la Syrie est beaucoup plus proche de l'Europe que le Yémen:
«Le conflit yéménite est enfermé par la situation géographique du Yémen. Les opinions publiques réagissent en fonction de ce qui les touche. Et ce qui les touche, c'est clairement les réfugiés d'abord ou le risque d'avoir des réfugiés.»
Benoit Muracciole, président de l'ONG Action Sécurité Éthique Républicaines, vient de déposer une action en justice contre l'État français afin de protester contre la vente d'armes françaises à Ryad dans le conflit yéménite. Pour ce dernier, il faut examiner ce désintérêt occidental sous le prisme des jeux d'alliances:
«Le fait que l'Occident soit attaché à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, à cette coalition derrière l'Arabie saoudite, est un élément géopolitique global plus important. L'Arabie saoudite est l'un des plus gros acheteurs [d'armes, ndlr].»
Les Saoudiens ont-ils alors carte blanche des Occidentaux pour intervenir au Yémen? L'humanitaire déclare que c'est en effet «le sentiment qu'ont les Yéménites, en tout cas la population civile.»
«Ce qui se passe au Yémen, c'est une horreur. […] Il y a une tragédie yéménite depuis des décennies. Le Yémen est un enjeu entre l'Arabie saoudite et d'autres États de la région, d'abord l'Égypte, pour le moment l'Iran […] Le conflit yéménite ne peut pas être lu sans oublier d'une part le bras de fer Iran-Arabie saoudite et le bras de fer Occident-Islam.»
L'ancien diplomate, spécialiste des questions sur la mondialisation, explique la position française vis-à-vis de ce conflit, en évoquant le retrait récent américain de l'accord sur le nucléaire iranien:
«Comment sauver cet accord? En disant qu'on va élargir l'accord en demandant à l'Iran de prendre des mesures par exemple concernant le Yémen ou concernant sa stratégie au Moyen-Orient. C'est ça l'idée de la France.»
«On n'a pas de saisie d'armes. Et en général, les saisies d'armes, puisqu'il y a un embargo en direction des Houthis, même si elles ne représentent pas tous les flux d'armement qu'il y a entre deux pays, donnent justement une idée de ces flux. Or il y a eu très peu de saisies d'armes et je pense que l'Iran aujourd'hui n'a pas besoin de soutenir militairement les Houthis. Les Houthis se sont largement armés avec le pillage des stocks, puisqu'ils ont eu cette alliance avec l'ancien président Saleh. Les missiles envoyés sur Ryad sont des missiles qui semblent avoir été livrés il y a très longtemps, bien avant la guerre.»
L'humanitaire demande ainsi que lumière soit faite sur les crimes de guerre commis au Yémen, avec le lancement d'une enquête internationale indépendante:
«Puisque le président Macron avait parlé de complicité de la Russie vis-à-vis de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité en Syrie, à ce moment-là, la question doit se poser pour la France, de complicité de la France avec les crimes de guerre au Yémen.»