Dans un spot publicitaire montré la veille de la diffusion, on annonçait la couleur. Bleu et blanc, avec une étoile à 6 branches et ce slogan: «Quand la patrie est la cible, la neutralité devient traîtrise, le silence complicité». «Shalom» ne sera vraisemblablement pas une caméra cachée comme les autres. Celles qui s'invitent, chaque Ramadan, sur le petit écran et distraient les Tunisiens.
Le principe est le suivant: une personnalité est invitée à prendre part à un entretien télévisé. Arrivé sur les lieux, une somptueuse villa dans la proche banlieue de Tunis, l'intermédiaire l'informe qu'il se trouve plutôt au «siège secret» d'une représentation diplomatique israélienne en Tunisie. Des acteurs jouant le rôle de diplomates israéliens lui proposent une formule de collaboration avec Tel Aviv. Une offre qu'il ne peut pas refuser: une mallette de billets verts, des promesses de soutien politique, etc.
Dans ce passage vidéo, extrait du premier épisode diffusé le dimanche 20 mai, l'entraîneur de football tunisien Mokhtar Tlili accepte pour 120 000 USD mensuels de devenir le conseiller technique d'un club de football israélien, le Maccabi Tel Aviv. Il exigera, toutefois, que la discrétion soit gardée autour de ses nouvelles fonctions…et qu'il puisse résider à Ramallah. Ce qui a provoqué l'indignation et la risée des internautes.
Mokhtar Tlili: «Je suis prêt à travailler à Tel Aviv, mais je passe la nuit à Ramallah.» Vendu, le jour, militant, la nuit!
48 heures seulement avant la diffusion de ce premier épisode, une courte liste de noms de «collabos» a déjà fuité, confirmée en substance par le producteur lui-même. Parmi ceux-ci, on trouve un prédicateur zélé, connu pour faire la chasse aux non-jeûneurs pendant Ramadan. Mais le nom qui a surtout retenu l'attention des Tunisiens est celui d'Abderraouf Ayadi, surnommé: «Ayadi Mossad». Ce chef d'un petit parti transfuge de la mouvance de l'ex-président Moncef Marzouki, était paradoxalement connu pour ses positions complotistes et sorties quasi-hystériques….contre l'Etat sioniste. Chantre de la criminalisation de la normalisation avec Israël, il est aussi l'une des figures de proue du comité de défense de Mohamed Zouari, un Tunisien proche du Hamas assassiné par le Mossad israélien en décembre 2016.
«Je n'ai aucun problème avec Israël», peut-on, pourtant, l'entendre dire dans le spot promotionnel diffusé par la chaîne Tounesna TV.
Contacté par un journal électronique proche de ses thèses, Assada, Ayadi s'est justifié en invoquant, presque, une offre qu'il n'a pas pu refuser. Version Luca Brasi, du Parrain, cette fois.
« On a exercé une pression psychologique et matérielle sur moi (…) J'ai voulu m'en aller, mais un homme armé m'en a empêché (…) Je me suis senti comme dans une cellule du Mossad qui me voulait du mal (…) une séquestration criminelle (…) J'étais empêché d'utiliser mon propre téléphone (…) On dit que j'ai accepté leur offre. En fait, je n'ai rien accepté, je n'ai même pas touché à la valise (…)»
Interrogé au sujet de la phrase où il affirmait ne pas avoir de problème avec Israël, Ayadi décriera un « montage tendancieux », menaçant de saisir la justice, en concluant, fidèle à son sobriquet, que cette caméra cachée elle-même est une émanation de « l'internationale sioniste » (sic).
Alors que la diffusion de «Shalom» était initialement prévue pour diffusion sur la chaîne Attassia TV, celle-ci s'est désistée à la dernière minute. Le producteur qui s'est rabattu sur une autre chaîne, Tounesna TV, a évoqué des «pressions» exercées par (sur?) la chaîne, pour manipuler le contenu de certains épisodes.
Dans une mise au point sibylline publiée sur son site, Attassia TV a, pour sa part, justifié la non diffusion par «la médiocrité» de la qualité professionnelle du programme, mais aussi, «le contexte actuel que vit la cause palestinienne, faisant du programme une provocation gratuite pour les téléspectateurs».
En toile de fond de cette caméra cachée s'étale justement toute la question du contexte, national et régional, et l'attachement particulier des Tunisiens à la cause palestinienne. Près d'un an et demi après l'assassinat, par le Mossad israélien, de Mohamed Zouari, l'adoption d'un projet de loi criminalisant la normalisation avec l'Etat sioniste est remise aux calendes grecques. De leur côté, les Israéliens venaient de perpétrer à Gaza, sous les yeux du monde, un massacre qui a particulièrement ému les Tunisiens, alors que les appels à la normalisation se multiplient dans les pays du Golfe, au nom de la haine de l‘Iran.
Quoiqu'à mille lieues de l'épicentre moyen-oriental, les Tunisiens restent particulièrement attachés à la cause palestinienne. C'est dans ce pays que s'étaient tenues les toutes premières négociations secrètes qui ont abouti à l'Accord d'Oslo de 1993. Quelques années plus tôt, en 1982, le quartier général de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat, tout juste évacué de Beyrouth, s'installait durablement en Tunisie. Les Israéliens mèneront, entre temps, des expéditions punitives contre des leaders de l'OLP, notamment, le 1er octobre 1985 à Hammam Chatt, avec l'Opération Jambe de bois qui fit 68 morts, majoritairement des Palestiniens. Devant la menace de Bourguiba de rompre les relations avec les Etats-Unis, ceux-ci s'abstiendront, pour la première fois de leur histoire, d'opposer leur veto à une résolution des Nations-Unis condamnant Israël.