Voitures en Algérie? «pas assez…peu chères mon fils»

Le marché automobile est en crise en Algérie, avec des prix jugés extrêmement élevés… une situation qui pointe, de l’aveu des autorités, un manque de transparence… quand ce ne sont pas les magouilles présumées des barons de l’industrie automobile, déjà épinglés pour nombre de scandales.
Sputnik

Six semaines après son lancement, le boycott des voitures montées en Algérie ne présente aucun signe d'essoufflement. Certains imputent la baisse des prix annoncés par un groupe industriel de montage de voitures sud-coréennes à ce bras de fer engagé sous un slogan, aux accents de cynisme citoyen: «laissez les rouiller».

«La baisse de prix (des voitures sud-coréennes, ndlr) n'a rien à voir avec tout cela. Cette enseigne était la seule à ne pas pouvoir bénéficier de soustraction de TVA parce que son dossier était en cours d'étude chez le Conseil national des investissements (CNI). Là, on lui a donné un accord. C'est ainsi que le prix de la KIA Picanto est passé de 189 à 139 millions de dinars [13.500 € à 10.000 €, ndlr]», tempère dans une intervention télévisée le journaliste Nadir Karri, journaliste algérien spécialiste des marchés automobiles.

Des prix qui n'ont rien à envier à ce qu'on retrouve de l'autre côté de la Méditerranée. En France, où le SMIC est 7 fois supérieur au salaire minimum algérien, le même modèle est pourtant commercialisé à partir de 11.000 €. Et la comparaison est loin de se tenir, même au-delà de la Méditerranée…

«La même Renault Symbol qui est montée à Moscou ne dépasse pas, à tout casser, les 6000 €. Ici, on la trouve à 14.000 € […] Où va cet argent?», compare cet expert algérien qui rajoute que les industriels locaux sont exemptés de droits de douanes, de TVA et autres taxes sur les voitures arrivées en kit.

Comble de l'ineptie: dans certains cas, les voitures en circulation ne répondraient même pas aux normes européennes. Il en irait, ainsi, selon ce même expert, de la Renault Symbol, un modèle exclusivement destiné aux marchés émergents, qui «n'est même pas qualifiée pour circuler en Europe».

C'était pourtant pour remédier à la hausse vertigineuse des prix de voitures importées que les autorités algériennes avaient décidé, il y a quelques années, de favoriser des unités de production locales, qui importeraient les voitures en kit de pièces détachées. Fausse bonne idée, manifestement. En juillet 2017, le ministre de l'Industrie de l'époque, Mahdjoub Bedda dénonçait «une importation déguisée» puisque «la voiture (produite localement) coûte plus cher que dans le pays d'origine».

«Nous n'avons pas encore atteint notre objectif […] On voulait bien encourager le secteur de la fabrication automobile, mais pas de cette façon-là. Là, on est dans une importation déguisée, je le dis en toute franchise. […] Il faut développer la chaîne de l'industrie automobile, pour qu'on ne soit pas réduit à importer toutes les pièces» avait déclaré à l'époque le ministre Mahdjoub Bedda, sur la chaîne Annahar TV.

En Algérie, l'industrie automobile «made in Bladi» a vu le jour en 2014, au terme d'un premier partenariat conclu avec le constructeur français Renault. Depuis, les unités de fabrication se sont développées, avec actuellement 4 producteurs locaux assurant le montage de plusieurs modèles de 7 marques internationales.

Dans l'esprit des autorités, deux objectifs, au moins, étaient poursuivis. Réduire «l'hémorragie» en devises étrangères, à mesure que la rente pétrolière s'effritait des suites de la chute des cours mondiaux et rendre les voitures plus accessibles aux Algériens. Si le quota de licences d'importation de voitures clé en main n'a cessé, depuis, de subir des tours de vis, le prix du «made in Algérie», en revanche, n'a cessé d'augmenter. Pour ce qui est de la devise étrangère, également, le montage local est loin d'être la panacée escomptée. La facture d'importation des véhicules semi-montés a atteint les 450 millions de dollars durant les deux premiers mois de l'année en cours, soit près du double que sur la même période en 2017!

#Laissez_les_rouiller

Une situation qui a conduit le ministère de l'Industrie à publier, le 14 mars dernier, une «liste des prix sortie usine des véhicules particuliers montés ou fabriqués en Algérie». Une mise au point qui a jeté un véritable pavé dans la mare puisqu'elle a mis en exergue une marge qui va jusqu'à plusieurs milliers de dollars sur les prix des voitures chez les revendeurs. Une campagne qui a fait son temps en Égypte, confronté au même problème, a ressuscité sous les cieux algériens. Appel citoyen à boycotter les voitures, «Khalleha tsaddi» (laissez-les rouiller plutôt que les acheter, ndlr), a fait des émules sur les réseaux sociaux algériens. En l'espace d'une semaine, le Hashtag, en arabe, s'est hissé en tendance n° 1 de la twittosphère. Incontournable, plusieurs plateaux télévisés s'en firent également écho.

«Le boycott vient en réaction aux prix mirobolants des voitures, bien qu'elles soient montées localement… par la mafia (sic) de l'assemblage automobile»

L'avion privé de Mohieddein Takhout (industriel algérien qui s'est vu attribuer le marché Hyundai) coûte 61,5 millions de dollars, croit savoir cet internaute, avant de prédire: «continuez la campagne de boycott, et il sera bien obligé de le vendre!»

Le slogan de campagne s'est tellement popularisé qu'il a été décliné à toutes les sauces. Musicales, comme avec cette chanson hip-hop…

… Et même humoristiques. Dans ce sketch, on décrit les déboires d'un constructeur algérien ruiné suite à la persistance de la campagne. Il se trouvera obligé de brader ses voitures dont personne pourtant ne voudra.

Du pur «populisme» a fustigé, le 25 avril, le ministre algérien du Commerce Saïd Djellab, alors même qu'un cadre de son ministère avait estimé, quelques jours plus tôt, que l'appel au boycott devait être pris en considération.

«Le ministère est en train de collecter toutes les informations relatives au marché des voitures dans l'objectif de dresser une base de données des distributeurs et vendeurs de voitures. L'idée est de contrôler les prix de vente», a déclaré, en substance, Saïd Djellab, cité par Ennaharonline.

Réagissant à son tour à cette polémique, le ministre de l'Industrie a tapé du poing sur la table, exigeant plus de «transparence» de la part des parties concernées. Celles-ci se montrent plutôt frileuses par les temps qui courent, devant les sollicitations médiatiques.

«Le ministère nous a demandé de fournir les prix de sortie d'usine, ce que nous avons naturellement fait. Je n'ai pas de commentaire à faire sur les prix», a laconiquement indiqué à Sputnik un responsable de la communication d'une marque automobile qui a requis l'anonymat, après que deux autres ont décliné toute demande d'interview.

Du grand cafouillage?

Spéculations, rôle des intermédiaires, cafouillages, surfacturations, et même des pratiques «mafieuses» des barons de la construction automobile, les Algériens ne font pas dans la dentelle pour désigner les vicissitudes du marché automobile. Et jusqu'à l'Association des consommateurs algériens (APOCE). Son président, Mustapha Zabdi, ne cache pas la sympathie que lui inspire la campagne, dont il s'est montré solidaire, à l'occasion d'un débat télévisé.

«Aujourd'hui, à Adrar (1400 kilomètres au sud-ouest d'Alger, ndlr), le marché de voiture se transforme en marché de fruits et de légumes, de poules et d'œuf… #Laissez_les_rouiller»

À un an de la présidentielle, l'arbitrage entre bailleurs de voix et bailleurs de fonds n'est pas chose aisée pour «les décideurs». Beaucoup d'Algériens se disent réduits à continuer activement le boycott, en attendant des mesures concrètes du gouvernement. En attendant, ils prendront, peut-être, leur mal en patience, en paraphrasant, presque, la phrase d'un Cheikh dans une célèbre pub de Clio: «Pas assez cher, mon fils!»

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