L’Arabie saoudite: allié ou client?

Après deux jours de visite officielle à Paris, Mohamed ben Salmane et Emmanuel Macron ont affiché leur complicité en conférence de presse, où ils évoquaient une vision stratégique commune. Mais où va l’Arabie saoudite? Un débat entre Patricia Lalonde, députée européenne UDI et Philippe Sébille Lopez, géopoliticien.
Sputnik

Mohamed Ben Salmane, Macron et Hariri en selfie à l'Élysée le 10 avril, c'était l'image de la semaine. Le prince héritier d'Arabie saoudite a ainsi passé deux jours de visite officielle à Paris, il a notamment signé des contrats pour une valeur annoncée de 18 milliards de dollars. Mais le président Macron ne veut pas considérer l'Arabie saoudite que comme un client, mais comme un allié, parlant en fait de troisième voie. Quelle est la réalité de ce partenariat?

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Une troisième voie qui a «l'air très périlleuse, très risquée» selon Patricia Lalonde, députée européenne UDI et chercheuse à l'Institut Prospective et Sécurité en Europe, ajoutant que: «c'est un pari que fait le président Macron». Mohamed ben Salmane (MBS), qui pratique comme ses prédécesseurs une diplomatie du portefeuille, a dépensé des dizaines de milliards aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France.

Philippe Sébille-Lopez, fondateur du cabinet Géopolia et spécialiste des enjeux énergétiques, relativise le montant de 18 milliards annoncé: «Ce qui a été signé de façon ferme et définitive, il y a 6,3 milliards qui concernent CFM International, c'est une joint-venture franco-américaine à 50-50, c'est General Electric et Safran qui sont les bénéficiaires de ce contrat. Quant aux autres contrats, pour l'instant, 10 milliards c'est sûr, pour tout le reste y compris avec l'accord avec Total, c'est un MOU [Memorandum of understanding, nldr], une lettre d'intention non contraignante […] Quant aux autres contrats potentiels, il faudra attendre la visite d'Emmanuel Macron à la fin de l'année à Ryad. Ce qui veut dire en clair, les Saoudiens n'ont rien promis vraiment que les quelques milliards de contrats comparés aux trois semaines passées par MBS aux États-Unis et aux dizaines de milliards de contrats fermes et définitifs signés avec les entreprises américaines. La France, de ce point de vue-là, ne pèse pas très lourd dans les échanges.»


Macron, dépassé et aveuglé dans sa relation avec l’Arabie saoudite de MBS
L'Observatoire des armements et la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme publiaient ce lundi une étude sur des livraisons massives d'armement de la part de la France à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis avant et pendant le conflit yéménite. La France a-t-elle le droit de vendre ces armes? Patricia Lalonde estime que le débat est biaisé: «il y a visiblement deux poids, deux mesures. On nous montre des images d'enfants qui ont souffert d'attaques chimiques, on nous montre sur la Ghouta tout ce que vous voulez. On ne montre pratiquement rien sur le Yémen, où il y a une catastrophe humanitaire, un véritable massacre qui a été fait également, il faut le dire avec les armes que l'on a vendues.» Elle fait référence également à une mission de médiation, sous son initiative, au Parlement européen pour tenter de réunir tous les acteurs du conflit.

Le géopoliticien rappelle la conférence internationale organisée par Macron cet été sur le Yémen, estimant qu'il s'agit d'une «concession de forme de MBS» et parle ainsi d'hypocrisie quant à la vente d'armes: «la France a dans ses contrats, une clause qui stipule que l'acheteur ne pourra pas utiliser ses armes contre des populations civiles, mais une fois que les armes ont changé de main, c'est les limites de l'exercice. Ils font ce qu'ils veulent. On ne peut pas dire grand-chose, il y a une forme d'hypocrisie […] Pourquoi achèteraient-ils des armes, si ce n'est pas pour les utiliser?»

MBS en France: dans les coulisses des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite
Mais qu'en est-il du contexte interne à l'Arabie saoudite? On présente régulièrement le jeune prince de 32 ans comme un réformiste modernisateur éclairé. Patricia Lalonde tempère cette image de MBS: «le vrai problème pour les femmes, ce n'est pas de savoir si elles peuvent aller jouer au foot, aller au cinéma, conduire, c'est de savoir quelle est leur relation par rapport à leur mari, est-ce qu'elles peuvent divorcer, est-ce qu'elles peuvent être autorisées à sortir […] c'est de la poudre aux yeux». Concernant le volet économique et social, Philippe Sébille Lopez considère que la diversification de l'économie saoudienne sera très complexe: «c'est une économie qui repose exclusivement sur le pétrole. Les cours du baril étant ce qu'ils sont, très fluctuants, très volatiles, dès que ça chute, la rente s'amenuise et le budget en souffre, et donc les subventions sont réduites. Et ça, c'est un risque social évidemment. MBS propose de réformer la société saoudienne, mais pour ça, il va avoir besoin de recettes pétrolières conséquentes, voire d'investissements d'où la fameuse IPO [Initial Public Offering, ndlr] sur l'Aramco».

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