Un transgenre dans l’armée impériale russe? Oui, et écrivain aussi!

Des personnes transgenres, il y en a depuis toujours, semble-t-il, même dans la Russie impériale. Il y a 200 ans, une noble a réussi à faire carrière dans l’armée en se faisant passer pour un homme.
Sputnik

Les transgenres sont à la mode de nos jours et défraient régulièrement la chronique. Ces personnes cherchent à promouvoir leurs droits et à garantir l'égalité des droits dans la société. On pourrait croire que cette tendance est nouvelle. A l'époque de la morale moderne, ce type de situation est plus fréquent. Mais il y a 200 ans, lorsque la morale ancienne régnait, il y a eu une femme en Russie qui n'a pas hésité à lancer un défi à l'opinion publique impériale et à assumer un métier masculin en se faisant passer pour un homme.

Nadejda Dourova, née en 1783, a été presqu'aussitôt rejetée par sa mère, qui s'attendait à avoir un garçon. Cette femme, irritée par les pleurs de sa fille, l'a même jetée par la fenêtre de son carrosse. Survivant par miracle, le pauvre bébé a été confié à un ami de son père et a grandi parmi les militaires, élevée comme un garçon dans les campements.

«La selle fut mon premier berceau», écrivait-elle plus tard dans ses mémoires, l'une des premières autobiographies rédigées en russe.

Adolescente, elle vivait avec ses parents dans un domaine. Elle a résisté aux tentatives de sa mère de lui inculquer les bonnes manières d'une jeune fille de bonne famille de l'époque comme la dentelle ou le tricotage. Le père, indulgent envers elle, lui a en revanche offert un cheval. La jeune fille passait alors des nuits entières, en cachette, à galoper à travers les prairies. Une fois le secret dévoilé, la mère, furieuse, a décidé de marier sa fille.

N'aimant pas son mari et n'arrivant pas à éprouver de sentiments maternels pour son nouveau-né, Nadejda est retournée chez ses parents, suscitant la colère de sa mère.

«Deux sentiments opposés, l'amour pour mon père et l'aversion pour mon sexe troublaient mon âme», confie-t-elle dans ses mémoires. Elle a donc décidé de trouver une issue à ce problème en quittant la sphère destinée d'habitude aux femmes.

Habillée en homme, elle est entrée dans l'armée russe sous le nom d'Alexandre Sokolov et a choisi une unité où le port de la barbe n'était pas obligatoire pour les officiers. L'absence de papiers a été expliquée par le fait que ses parents ne lui permettaient pas de partir à la guerre. Quant aux procédures d'hygiène qui auraient pu révéler son identité, elle a réglé ce problème en s'engageant à donner à boire aux chevaux, ce qui lui permettait de rester régulièrement seule.

Cependant, elle devait éviter la compagnie des femmes, qui devinaient tout de suite qu'elle était de leur sexe. Cependant, plusieurs dames sont tombées amoureuses d'elle, et elle a même dû changer de régiment à cause d'une histoire de ce genre.

Cette femme a participé à plusieurs batailles et s'est distinguée par son courage, qui a été récompensé par des décorations militaires.

Au bout d'un certain temps, elle a écrit à son père et lui a raconté son histoire. Celui-ci a fait parvenir sa lettre à Saint-Pétersbourg (alors capitale de l'empire russe) via son frère, pour savoir si sa fille était encore vivante. Cette lettre a eu l'effet d'une bombe parmi les militaires qui ont appris la nouvelle. Le tsar lui-même a été informé et a fait venir secrètement cette femme extraordinaire dans son palais.

Lui remettant une médaille, l'empereur Alexandre a demandé: «Vous n'êtes pas un homme, dit-on?» Elle n'a pas pu mentir mais a demandé de lui permettre de garder son uniforme. Le tsar l'a autorisé, la priant de ne jamais révéler son secret. Il lui a donné un nouveau nom, dérivé du sien: Alexandre Alexandrov.

Nadejda a eu ensuite une brillante carrière, a combattu notamment lors de la bataille de la Moskova en 1812. Le commandant des troupes russes Koutouzov connaissait son secret mais la traitait comme tous ses hommes.

Après avoir quitté l'armée, elle s'est installée en province, dans la ville d'Elabouga, continuant de porter son uniforme, de fumer et de monter à cheval. Elle y a passé les 30 dernières années de sa vie (décédée à l'âge de 83 ans).

Le célèbre poète russe Alexandre Pouchkine, auquel elle a montré ses mémoires, a été enthousiasmé par son histoire et par son style. Il les a édités. L'autobiographie de cette femme hors du commun a eu un succès éclatant. Encouragée, Nadejda, qui a déjà presque oublié son vrai nom, a poursuivi sa carrière littéraire. En tant qu'écrivain, elle était préoccupée par la différence injuste entre le statut de l'homme et celui de la femme dans la société.

Une attitude on ne peut plus moderne pour nous au XXIe siècle.

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