Les Rafale sont en piste, sur leur base de Saint-Dizier, et n'attendent plus que le signal d'Emmanuel Macron pour lancer le feu français sur la Syrie. De leur côté, les autorités syriennes renforceraient les défenses antimissiles de Damas.
Un état d'alerte qui, côté français, tranche avec les propos tenus la veille par le Président de la République. En effet, lors d'une conférence de presse conjointe avec le prince héritier d'Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salman, Emmanuel Macron déclarait que la décision de frapper en Syrie serait prise et annoncée «dans les prochains jours» après échanges d'informations «techniques et stratégiques avec nos partenaires, en particulier britanniques et américains».
Une démarche des occidentaux qui s'inscrit dans la volonté de frapper les autorités syriennes, malgré le veto russe à l'ONU. Damais tenu par Washington pour responsable de l'attaque chimique supposée, le 7 avril dernier, dans la dernière poche de résistance à la Ghouta.
«Une telle frappe sur le plan du droit international demeure extrêmement questionnable,»
réagit à notre micro le général (2s) de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques. Pour lui, la conflagration «semble inévitable», mettant en avant des programmes politiques, «particulièrement français et américains». Cependant, si tout est techniquement prêt, il évoque l'ultime obstacle que constitue le droit international: «il est possible aussi que ces dirigeants se demandent ce qu'ils vont pouvoir faire pour justifier —sur le plan de la légitimité- cette frappe.»
«On n'est pas dans de la gestion politique sérieuse, on est dans de la communication à destination électorale, au moins pour la France,» analyse le Général Brisset,
qui évoque une situation «compliquée» pour Emmanuel Macron. Car si, selon lui, bon nombre d'électeurs du Président souhaitaient voir la France agir militairement contre Damas, dans un tel contexte de porte à faux avec le Conseil de Sécurité de l'ONU, «dire que l'on est favorable à une frappe, c'est renier Dominique de Villepin qui a refusé de suivre Colin Powell sur une falsification d'armes chimiques en Irak. C'est aussi quelque chose qui fait la fierté d'un certain nombre de gens qui, pour beaucoup, ont voté Macron.»
En février, un chasseur bombardier F-16 israélien avait été abattu par la défense antiaérienne syrienne. Une leçon visiblement retenue par l'armée de l'air de l'État hébreu qui, lundi 9 avril, a bombardé une base aérienne syrienne depuis l'espace aérien libanais. Mais au-delà des pertes que pourrait occasionner une mission de bombardement en Syrie, d'autres questions se posent visiblement pour la France:
«On ne donne pas un coup de sifflet en Syrie ou on ne donne pas un coup de pied dans la fourmilière syrienne impunément»,
met en garde sur LCI Vincent Hervouët, chef du service «Étranger» de la chaîne d'information de TF1. Mettant en avant la complexité du conflit syrien, il souligne les conséquences que pourraient avoir un aventurisme militaire de la France en Syrie, alors même qu'il serait «trop tard» pour renverser Bachar el-Assad, fustigeant les nombreuses «erreurs d'analyse» d'Européens ayant été «pusillanimes» sur un conflit qui s'éternise depuis sept ans.
Des frappes qui, selon lui, viseraient à «restaurer un peu de notre crédit», le tout dans un pays où la France est «hors-jeu», malgré un passé particulièrement riche en liens et en influence.
Mettant en avant ses débuts durant la guerre au Liban, il relate la guerre souterraine menée alors par la France à l'Iran, un conflit que les Français n'avaient «pas bien compris», mais dont les conséquences furent concrètes
«À chaque fois qu'on s'est opposé à l'Iran, on l'a payé, il faut le savoir. On a déjà les gens de Daech qui veulent nous faire la peau et nous faire souffrir, on les vaincra sans doute, mais les Iraniens… se les prendre de front ou de biais, c'est prendre un risque qu'il faut assumer.»
Une inquiétude, vis-à-vis d'une possible intervention française en Syrie, partagée par d'autres journalistes spécialisés dans le Moyen-Orient et la Défense. Certains pourtant plaident pour plus de fermeté encore de la part des Occidentaux, à l'exemple d'Ulysse Gosset. L'éditorialiste international de BFMTV, rappelant les frappes américaines lancées il y a quasiment un an jour pour jour après l'attaque au gaz supposée à Khan Cheikhoun, déclare,
«Il faut, cette fois, que la force soit utilisée de manière encore plus forte pour que cela serve effectivement de leçon pour l'avenir.»
Des inquiétudes, d'autant plus que si Emmanuel Macron souligne qu'il ne souhaite «aucune escalade dans la région» et recherche uniquement le respect du droit humanitaire international, certains ne sont pas de cet avis, comme l'ancien député LR Jacques Myard. Pour lui, «le risque d'escalade est certain», évoquant une «faute» que serait une action unilatérale en Syrie. L'ancien parlementaire, qui s'était rendu en Syrie, appelle à raison garder.Autre argument en faveur des sceptiques et inquiets, la réaction des États unis: ce partenaire —et leader de l'OTAN- avec lequel Emmanuel Macron dit que la France va continuer les échanges d'information. Ce mercredi, dans le style typique de Donald Trump, le Président américain a lâché l'un de ses tweets… évocateurs:
«La Russie jure d'abattre n'importe quel missile tiré sur la Syrie. Que la Russie se tienne prête, car ils arrivent, beaux, nouveaux et "intelligents!" Vous ne devriez pas vous associer à un Animal qui tue avec du Gaz, qui tue son peuple et aime cela.»
Un phrasé qui ne surprend en rien le Général Brisset, qui évoque la géopolitique brutale et typique du Président américain:
«C'est du Trump tout craché: on met plein de choses sur la table, puis on négocie à huis clos. On est dans une autre manière de voir la politique, qui est une manière acceptée par Trump, acceptée par Poutine, mais qui n'est absolument pas comprise par les gens qui en France sont restés à une manière dépassée de voir la science politique.»
Quoi qu'il en soit, attaque chimique ou pas, orchestrée ou non par Damas, tout ne reste finalement qu'une question d'opinion publique quant à la décision de bombarder les forces gouvernementales Syriennes. Une opinion publique européenne chauffée à blanc contre la Russie —allié «indéfectible» de Damas- suite à l'affaire Skripal.
Un empoisonnement survenu, d'ailleurs, au moment où paraissait la nouvelle doctrine britannique en matière de défense nationale et faisant de la Russie, l'Iran et la Corée du Nord, les nouvelles menaces principales pour Londres, au même titre que le terrorisme islamique résultant de l'effondrement de Daech.