«Cette divulgation de positions est quelque chose qui n'est pas tellement admissible de la part de quelqu'un censé combattre le même ennemi,»
réagissait, à notre micro, le général de brigade (2s) Dominique Trinquand à la publication, vendredi 29 mars, de positions militaires françaises en Syrie par l'agence de presse «semi-officielle» turque, Anadolu. Selon cette dernière, s'appuyant sur des «sources locales fiables», plus de 70 hommes des forces spéciales françaises, ainsi qu'une trentaine de membres du 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine (1er RPIMa) et du 10e Commando de parachutistes de l'air (CPA 10) seraient engagés sur cinq sites: dans le canton de Kobané, à proximité du mont Mashtnour, le village d'Ayn Isa, la ville de Raqqa, ainsi que la cimenterie de Lafarge.
Une agence qui n'en est pas à son coup d'essai, puisque c'est elle qui avait déjà révélé les positions des forces spéciales américaines et françaises dans le nord de la Syrie en juillet dernier. Il s'agissait déjà pour Ankara de dénoncer le soutien occidental aux Kurdes. Si le Pentagone s'était ému du procédé, le ministère des Armées français était resté étonnamment discret… comme actuellement.
«Je le rappelle [que les Kurdes, ndlr] sont les premiers à avoir combattus contre Daech, alors que la Turquie est rentrée assez tardivement dans ces combats-là.»
Une divulgation d'informations «forcément approximatives et inexactes» de la part d'un allié militaire, mais qui porte à conséquence pour des troupes dont le caractère secret des missions est la raison d'être. L'indélicatesse s'est de plus accompagnée de déclarations d'officiels turcs, peu avares en critiques à l'égard de la position française.
Le 31 mars, le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'est dit «attristé» par l'appui français aux Kurdes en Syrie, évoquant une approche «complètement erronée» de Paris. «Attristé» et non «scandalisé», ce qui révèle en langage diplomatique une certaine retenue, que n'aura pas son vice-Premier ministre, Bekir Bozdag, qui n'a pas hésité à menacer:
«Ceux qui s'engagent dans la coopération et la solidarité avec les groupes terroristes contre la Turquie […] deviendront, comme les terroristes, une cible de la Turquie», a-t-il twitté- dans des propos rapportés par Reuters- ajoutant, «nous espérons que la France ne prendra pas une telle mesure irrationnelle.»
Dès le 1er avril, le ministre turc de la Défense, Nurettin Canikli, n'hésitait pas à mettre en garde contre une «invasion» française, évoquant devant la presse «une mesure illégitime, contraire au droit international», si jamais Paris s'avisait de renforcer son dispositif militaire dans le nord de la Syrie.
Une surenchère verbale à des fins de politique intérieure, comme le précise le Général Trinquand, pour qui «cette position est extrêmement populaire pour le président Erdogan»
«On n'est pas très surpris, on sait qu'en politique interne le Président Erdogan vient des Frères musulmans, que les Frères musulmans sont plutôt très hostiles aux Kurdes, depuis le début au Président Bachar al-Assad —ce qui est également le cas de la France —mais, dans la myriade de mouvements sunnites combattant contre Daech et en même temps contre le Président Bachar al-Assad, les Turcs ont toujours eu une position assez ambiguë depuis le début de la crise.»
Des déclarations, des publications, hostiles à la France qui font suite à la réception —jeudi 29 mars- d'une délégation des combattants kurdes à l'Élysée. Ceux-là mêmes qu'Ankara considère comme des «terroristes» et contre lesquels elle a engagé ses troupes en Syrie, dans le cadre de l'opération «Rameau d'Olivier». Une rencontre particulièrement sensible pour Paris, allié militaire de la Turquie dans le cadre de l'OTAN, qui a rapidement pris une tournure d'imbroglio médiatico-diplomatique.
Des soldats français qui, selon Asiya Abdellah, une autre représentante Kurde conviée à l'Elysée, seraient déployés à Manbij, ville située à une centaine de kilomètres d'Afrin et qu'Erdogan avait promis de «nettoyer» de ses «terroristes» afin «qu'il n'en reste plus aucun jusqu'à la frontière irakienne».
Si dès le lendemain matin Paris mettait les points sur les i, et démentait ces propos, affirmant que la France n'épaulait les Kurdes que dans leur lutte contre Daech, le mal était fait. Du côté turc, le porte-parole de la présidence, Ibrahim Kalin, adressait via son compte Twitter une fin de non-recevoir au projet de médiation porté par Paris, entre les forces kurdes et les autorités turques. Tout comme certains médias au lendemain de la rencontre, Dominique Trinquand évoque une «surréaction» kurde.
«Le Président Macron a été très clair sur le soutien qu'il accordait globalement aux Kurdes, sans qu'il y ait de nouvelles opérations de prévues. De toute façon, les forces prévues là-bas sont les forces spéciales et on ne divulgue jamais les positions ni les actions des forces spéciales.»
Mais les officiels et agences de presse Turques ne sont pas les seuls à charger la France. Selon le Daily Sabah, un quotidien progouvernemental turc —reprenant les dires d'un «officiel turc»- Emmanuel Macron aurait souhaité s'inviter aux discutions de paix sur la Syrie à Sotchi, tenues entre l'Iran, la Turquie et la Russie. Une présence qu'auraient rejetée les Iraniens.
Camouflet avéré ou intox destinée à déstabiliser le Président français dans ce contexte de tension entre Paris et Ankara? Dominique Trinquand à sa réponse:
«Cela n'est absolument pas vérifié et si le Président Macron et la France veulent jouer un rôle en Syrie ce n'est certainement pas par ce biais-là qu'on va parler de la position française dans les négociations post-conflit en Syrie.»