Les leçons de la réélection de Vladimir Poutine

La réélection de Vladimir Poutine n’était pas une surprise. Mais son ampleur (près de 77% des votes) et la forte participation électorale (68%) en sont.
Sputnik

Cette élection s'est faite dans de bonnes conditions, même si des problèmes mineurs ont été constatés lors de l'élection elle-même (1) et les résultats contiennent de quoi surprendre certains des « observateurs », on veut parler ici de la grande majorité des journalistes occidentaux qui parlent de la Russie depuis Londres ou Paris. Certains de ces résultats peuvent conforter Vladimir Poutine dans sa stratégie, mais d'autres devraient lui indiquer qu'il est temps, et même plus que temps, d'infléchir cette dernière. Enfin, ces résultats devraient aussi convaincre les dirigeants français qu'il est futile et vain de s'entêter dans leur attitude actuelle.

Un succès évident pour Vladimir Poutine

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Ces résultats sont un succès évident pour Vladimir Poutine. Il a reçu 76,7% des votes exprimés mais, et ceci est important, le pourcentage de votes exprimés est de 68% à la fin du décompte final. La participation a été plus importante dans la partie Ouest du pays. Or, traditionnellement, c'est dans cette partie de la Russie que sont concentrés les « libéraux ». Cela montre qu'ils n'ont pas du tout été sensible aux consignes de boycott lancées par Navalny, dont on a la confirmation qu'il ne pèse rien en Russie, n'en déplaise à certains journalistes occidentaux.

Tableau 1
Participation aux élections présidentielles en Russie

Cela traduit le fait que le vote pour Vladimir Poutine a d'abord été un vote de confiance pour ce dernier. L'opposition a toujours été partagée entre trois courants: les « ultra-nationalistes » (Zhirinovsky et le LDPR), les « Libéraux » qui sont les héritiers de Gaïdar et des politiciens des années 1990, et la « gauche », représentée par le Parti Communiste (le KPRF) mais aussi par diverses organisations. Or, et c'est le second résultat marquant de cette élection, le courant libéral a été écrasé.

Tableau 2
Poutine face aux candidats libéraux

Le vote « libéral » et pro-occidental est aujourd'hui au plus bas en Russie. Cela traduit tant la réaction des russes face aux conséquences des politiques que l'on appelle « libérales » (et de ce point de vue le chaos existant aujourd'hui en Ukraine rappelle fâcheusement la situation en Russie dans les années 1990), qu'une réaction patriotique face aux tentatives d'ingérence des puissances occidentales sur la politique russe. Cet effondrement du vote libéral est lié à la bonne participation que l'on a pu constater dans le dernier scrutin.

Deux conclusions s'imposent donc: les russes ont massivement exprimé leur confiance en Vladimir Poutine et, pour l'heure, les « libéraux » n'existent plus en Russie comme force politique. Ils peuvent, certes, compter sur les moyens financiers de certains oligarques et sur l'appui des médias occidentaux, mais cela équivaut pour eux au « baiser de la mort ».

Un succès pour le candidat de « gauche »?

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Ces conclusions n'épuisent pas les leçons que l'on peut tirer du scrutin. Le bon résultat de Pavel Groudinine, le candidat soutenu par le KPRF et les « forces de gauche », qui fait 11,4% des suffrages (et auquel on peut associer un candidat dissident des « communistes de Russie » qui a fait 0,7%) est à noter. Ce résultat est pratiquement le double de celui du nationaliste Zhirinovsky qui voit son électorat se restreindre drastiquement. Cela traduit le malaise social qui a été analysé par de nombreux observateurs et ce que j'ai décrit dans plusieurs notes (2). Il traduit les effets de la crise que l'économie russe a traversée en 2015 et 2016 du fait de l'effondrement des prix du pétrole. Ce malaise, Vladimir Poutine en avait lui-même pris acte lors de son discours devant les « corps constitués » du jeudi 1er mars. Plus généralement, il indique la nécessité d'une inflexion dans l'idéologie du pouvoir russe. Cette idéologie peut être qualifiée de « national-conservatrice ». La dimension « patriotique » est évidente, et semble d'ailleurs convaincre une bonne partie des russes. Mais, on a tendance à ne pas mesurer l'ampleur de la vague « conservatrice » actuellement en Russie (mais vague qui touche aussi de nombreux pays européens). Ce « conservatisme » s'enracine à la fois dans le souvenir des troubles inouïs que la Russie a connus dans les années 1990, mais aussi dans un sentiment de très grande insécurité sociale qui est le produit tant des changements économiques qui se déroulaient à cette période (et qui ont continué par la suite) que des transformations que la société russe continue de connaître.

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Ce « national-conservatisme » peut évoluer dans deux directions. L'une pourrait être qualifiée de tendance réactionnaire avec un renforcement des inégalités appuyé sur une rigidification des formes patriarcales qui continuent de demeurer fortes en Russie. Cette évolution cependant se heurtera de front avec la montée de nouvelles générations qui supporteront de plus en plus mal les inégalités inhérentes à la forme « réactionnaire ». Ou alors, ce « national-conservatisme » peut prendre une forme « sociale », conservant le besoin de sécurité qui est patent dans la population, mais l'accompagnant d'une forte réduction des inégalités et de la montée d'une protection publique (par le développement des services publiques) qui sera d'ailleurs à même d'assurer cette demande de « sécurité ». C'est le ressort principal du vote pour Groudinine, et c'est vers cette forme idéologique, que l'on peut appeler le « national-conservatisme social » que devrait évoluer l'idéologie du pouvoir en Russie s'il entend se consolider dans la durée. Ce problème de la durée se posera car tout porte à croire que le mandat obtenu dimanche 18 mars sera le dernier pour Vladimir Poutine. Ce dernier a exprimé, à de maintes reprises, sa volonté de respecter l'ordre constitutionnel qui lui interdit de se représenter pour un troisième mandat consécutif.

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D'une manière plus générale, les gouvernements des pays occidentaux seraient bien inspirés de prendre en considération ce que nous apprend cette élection, qu'il s'agisse de la légitimité de Vladimir Poutine, légitimité qui a été incontestablement renforcée le dimanche 18 mars, ou qu'il s'agisse des deux crises qui cristallisent le conflit avec la Russie, la question de la Crimée et celle de la crise dans l'est de l'Ukraine. La tiédeur — et c'est un euphémisme — du message d'Emmanuel Macron à Vladimir Poutine à l'occasion de sa réélection montre que l'on en est encore loin (3). Pourtant Emmanuel Macron a été élu avec 43% du corps électoral et Vladimir Poutine avec 52%. Cette différence de 9 points devrait inciter le Président français à une certaine humilité…


(1) Voir le compte-rendu fait par Jacques Myard de sa mission d'observation en Crimée: https://www.facebook.com/Jacques-MYARD-532814636848757/

(2) Voir les notes du 17 mars https://www.les-crises.fr/russeurope-en-exil-la-situation-economique-de-la-russie-et-les-elections-par-jacques-sapir/ et du 1er mars https://www.les-crises.fr/russeurope-en-exil-les-defis-de-leconomie-russe-video-par-jacques-sapir/

(3) http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/communique-entretien-telephonique-entre-emmanuel-macron-president-la-republique-et-vladimir-poutine-president-de-la-federation-de-russie/

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