François-Bernard Huygue, directeur de recherche à l'IRIS et spécialisé sur la communication n'est même pas surpris:
«Ce n'est pas étonnant dans ce sens où les médias occidentaux avait choisi Alexeï Navalny comme le représentant des Occidentaux, de nos valeurs, le candidat libéral et donc, il a joui d'une cote de popularité et d'une présomption favorable dans les médias français. Donc ce n'est pas une révélation de dire que beaucoup sont plutôt libéraux, atlantistes, pro mondialisation heureuse, etc. Cela ne me surprend pas du tout.»
Rappelons qu'Alexeï Navalny, plusieurs fois condamné, donc inéligible pour ce scrutin présidentiel, a selon ses dires, dépêchés 33.000 observateurs qui auraient relevé un certain nombre de fraudes, dont des bourrages d'urnes. La presse française, du Monde au Figaro, a donc largement relayé les dénonciations des opposants, ou du moins, de «l'opposant n° 1», qui n'en est pas un.
«Les ONG intervenant dans les élections, c'est une longue tradition qui remonte aux révolutions de couleurs (Serbie, Ukraine, Azerbaïdjan, etc.). […] Depuis la chute de l'URSS, il y a eu une tradition d'interventions d'ONGs occidentales, financées par l'USAID, soit par le National Endowment for Democracy, soit par des organisations plus ou moins proches de George Soros et de l'Open Society; il y a toujours eu une longue tradition de formation des activistes, de fournitures, de moyens de communications, de radio sur Internet, etc.».
François-Bernard Huygue rappelle que ces ONG, comme Golos, tiennent un rôle particulier dans les élections. En effet, cette dernière est financée par le gouvernement des États-Unis et par bien d'autres organisations qui ont une vision politique assez éloignée de celle du Kremlin et de Vladimir Poutine.
Pour autant, s'il convient de ne pas oublier que de nombreuses fraudes existent bel et bien, la presse pourrait aussi rappeler que ces irrégularités apparaissent quasiment à chaque scrutin en Russie, mais aussi dans la plupart des pays du monde. François-Bernard Huygue évoque même la France:
«C'est vrai qu'en France, nous ferions bien de ne pas donner trop de leçons. Le vote dit "à la chaussette", cela existait dans certaines municipalités.»
Et il ajoute:
«Il y a une petite île que je ne nommerais pas et où il paraît que la fraude électorale est une tradition ancestrale et du seul fait qu'il y ait des élections annulées, cela prouve qu'il y a des irrégularités ou bien bourrage d'urnes ou bien dans la campagne électorale qui se produit en France aussi, comme probablement d'ailleurs dans tous les pays du monde.»
Si l'on évitera de faire une comparaison avec les dernières élections présidentielles françaises de mai 2017, et l'histoire notamment des 500.000 électeurs inscrits deux fois sur les listes, François-Bernard Huygue observe plutôt une différence:
«La différence qu'il pourrait y avoir, c'est que lorsque cela se produit en France, on présente ces fraudes, ces irrégularités comme émanent de différences sources, de divers partis, voire de divers individus, tandis que l'accusation, plus ou moins implicite des médias occidentaux, c'est que cela serait une fraude d'État organisée en faveur de Vladimir Poutine.»
«Tout le monde reconnaît que, quoi qu'aient voulu les Occidentaux, la stratégie de Poutine lui rapporte beaucoup au moins en termes de politique intérieure.»
Si le différend avec l'Ukraine, qui a d'ailleurs empêché les ressortissants russes de voter, au sujet de la Crimée où Vladimir Poutine obtient plus de 90% des voix, a fait l'objet de tentative d'opposition au Président russe, à l'instar de l'affaire Skipal ces derniers jours, les électeurs ont aussi majoritairement plébiscité Vladimir Poutine dans les capitales des pays concernés: 51.7% à Londres, 61% à Paris.
Toute occupée à relayer les messages de son non-candidat favori, Alexeï Navalny, et à traquer les ratés d'un scrutin qu'elle admet néanmoins légitime, la presse française ne s'est guère penchée sur une analyse quelque peu dérangeante pour son story-telling:
«Si vous additionnez le score de Poutine, de Groudinine [candidat communiste, ndlr] et celui de Jirinovski [candidat nationaliste, ndlr], vous arrivez à un score important de candidats [plus de 94%, ndlr] qui, tout en ayant des idéologies différentes, ne sont pas pro-occidentaux, pro libéraux, etc. Donc, l'influence du modèle de société ouverte, libérale, multipartite à l'occidentale, ne semble pas beaucoup tenter les Russes.»