Fin de partie pour la Grande Récré. Le distributeur de jouets, à court de trésorerie après des ventes de Noël décevantes, n'a pu obtenir de ses créanciers une rallonge de 75 millions d'euros d'emprunts supplémentaires. En cessation de paiement, le groupe Ludendo a donc- selon une information du Figaro- demandé au tribunal de commerce de Paris à être placé en redressement judiciaire.
L'enseigne venait pourtant tout juste de souffler ses 40 bougies et son PDG, Jean-Michel Grunberg, annonçait en fin d'année ses plans de développement, tant en France qu'à l'international. Il comptait porter le nombre de magasins en France de 200 à 300 et passer de 7 à 50 le nombre de pays où l'enseigne est présente.
Cependant le poids des créances restait trop lourd (105 millions d'euros après la revente d'Halmey) et le n° 2 français du jouet est finalement allé rejoindre son concurrent américain, Toys'R'us- mis en faillite en septembre aux États-Unis et le 28 février au Royaume-Uni, soit le même jour qu'un autre détaillant le britannique, Maplin Electronics, qui compte près de 200 magasins et 2.300 salariés. Quant à Toys'R'us, à ses 3.200 salariés des 105 points de vente britanniques s'ajoutent les 9.000 Américains des 382 magasins que l'enseigne devrait fermer sur son marché domestique.
Une mauvaise santé des détaillants de tout poil qui contraste avec l'entrain de leurs secteurs respectifs. En effet, pour celui des jouets, comme le souligne La Tribune à la mi-janvier, si la baisse des naissances en France ou encore la progression des jeux vidéo ont une incidence sur les ventes, leur recul en 2017 fait figure de contre-performance «surprise», «après quatre années de croissance consécutives pour le secteur.»
En réalité, ces grands distributeurs, tant américains, britanniques que français, subissent de plein fouet l'arrivée sur leurs marchés d'un nouveau concurrent et pas des moindres, Amazon, champion mondial de l'e-commerce.
Si les distributeurs traditionnels redoublent d'efforts pour passer à la vente en ligne, ils peinent à s'imposer dans ce domaine dominé par Amazon. Dans une infographie Statista, présentée par La Tribune, on pouvait voir que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) avaient réalisé sur l'année 2016 pour près de 2,16 milliards de dollars de ventes de jouets et produits pour bébé aux États-Unis. Un score qui pulvérise non seulement celui de Toys'R'us (912 millions de dollars), mais même celui de la chaîne d'hypermarchés Walmart (1,28 milliard).
Amazon qui fait figure de poids lourd de l'emploi, avec près de 542.000 collaborateurs à travers la planète. En France, l'entreprise de Seattle a annoncé mi-février dans un communiqué qu'elle comptait embaucher 2.000 nouveaux salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) sur l'année 2018, portant ses effectifs nationaux à 7.500.
Comme le soulignait son directeur en France, Frédéric Duval, auprès de la rédaction du Journal du dimanche (JDD), le champion du E-commerce a investi près de 2 milliards d'euros dans l'hexagone depuis 2010.
«On perd plus d'emplois qu'on en gagne, donc il n'y a rien à remercier à Amazon. Il faudrait plutôt qu'Amazon paie les impôts qu'il devrait payer et trouver des moyens pour protéger les enseignes —petites ou grandes,» déclare au micro de Sputnik Djordje Kuzmanovic, porte-parole de La France Insoumise (LFI).
Des propos qui tranchent radicalement avec ceux de Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances qui déclarait dans une interview parue le 4 mars dans ce même JDD que «Amazon est le bienvenu en France, car ma priorité absolue, c'est la création d'emplois et Amazon représente des milliers d'emplois». Le ministre qui annonçait également une directive européenne à venir dans les prochaines semaines, visant à taxer les GAFA à hauteur de «2 à 6%» de leur chiffre d'affaires dans chaque État membre, «une avancée considérable», selon ses propres mots. Bruno Le Maire estime qu'il ne s'agit là que «d'un point de départ», le texte restant ouvert à des améliorations futures. De «la poudre aux yeux» à destination des Français estime pour sa part Djordje Kuzmanovic, revenant notamment sur le rôle qu'avait joué l'actuel Président de la Commission européenne, lorsqu'il était Premier ministre du Luxembourg entre 1995 et 2013.
En janvier 2017, The Guardian révélait, une série de câbles diplomatiques allemands à l'appui, que Jean-Claude Juncker aurait paralysé la lutte européenne contre l'évasion fiscale en s'opposant «systématiquement» à toute coordination européenne en la matière. Un manque de concertation des fiscalités européennes sur laquelle surfent allégrement les GAFA depuis une dizaine d'années en recourant à des techniques d'optimisation fiscales musclées.
«Ceci est en particulier possible du aux dispositions liées aux impôts en Europe, qui font qu'Amazon, comme tous les GAFA, peuvent s'exonérer de payer des impôts, ce qui leur donne une puissance financière supplémentaire pour écraser la concurrence,» dénonce Djordje Kuzmanovic.
Ainsi, pour rester dans les GAFA ainsi qu'en Grande-Bretagne, en 2014, Facebook a réglé au fisc de Sa Majesté la modique somme de 4.327 livres au titre de l'impôt annuel sur les sociétés, soit moins d'impôts qu'un salarié britannique touchant le salaire moyen… Cette année-là, la firme avait pourtant plus que doublé ses revenus, les faisant passer de 49,8 millions de livres à 105 millions de livres.
Soulignant un paradoxe dans «un monde où la consommation ne s'est jamais aussi bien portée», la chaîne continue met en avant une étude de l'assureur-crédit Euler Hermes, soulignant qu'en 2016 les défaillances des grandes entreprises commerciales ont augmenté de 66% sur le plan mondial.
Un rapport de force qui rappelle celui, dans les provinces, entre grandes surfaces et petits commerces, dans ce contexte, Djordje Kuzmanovic appelle les pouvoirs publics à trouver des solutions de protection de ces acteurs économiques et sociaux, «même les enseignes comme Toys'R'us sont menacées, alors vous imaginez les petits commerçants…» d'autant plus que comme il le rappelle, les conditions de travail au sein d'Amazon ont déjà fait l'objet de plusieurs plaintes.
Un fléau qui touche également les salariés de la compagnie aux États-Unis, «dans l'Ohio, où Amazon est l'un des plus gros employeurs, 10% de ses salariés vivent sous le seuil de pauvreté,» soulignait ainsi FranceInfo fin janvier, dans une vidéo consacrée à la dernière lubie de Jeff Bezos —PDG d'Amazon, 1ère fortune du monde selon Forbes: la construction de trois biosphères afin «d'optimiser la créativité et l'efficacité», le tout pour la bagatelle de 3,2 milliards et 7 ans d'études et de travaux.
Pourtant, au sein de la Commission, certains sont décidés à agir, comme Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence a clairement fait de la lutte contre les abus fiscaux des GAFA son cheval de bataille, peu importe le passif de son Président.
Pas sûr cependant que cela soit suffisant pour protéger les Européens, comme le souligne l'avocate Virginie Pradel, fiscaliste à la Fondation Concorde et fondatrice de l'institut Vauban- comme toute résolution européenne, celle-ci se heurtera à l'impératif d'un vote à l'unanimité. Avec des États membres comme Chypre, Malte ou l'Irlande, qui ont fait de concurrence fiscale et de l'attrait des sièges sociaux européens des grandes multinationales une manne financière, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Cet argent, imposé à minima par les fiscs européens, n'est pour autant pas perdu pour tout le monde. En effet, suite à la réforme fiscale de Donald Trump, les entreprises américaines se verront imposées au titre d'un prélèvement exceptionnel sur les sommes stockées par les entreprises à l'étranger, comme le souligne Les Échos, ainsi Apple a annoncé qu'elle verserait la modique somme de 38 milliards de dollars (31 milliards d'euros) au fisc US.