«Voir mon petit espace»: le célèbre aventurier russe prêt pour de nouvelles conquêtes

A 67 ans, Fiodor Konioukhov a déjà participé à plus de 40 expéditions de tout type et n'envisage pas de s'arrêter en si bon chemin. Cet automne, il partira en solitaire pour une circumnavigation en chaloupe d'environ 250 jours. Dans un entretien accordé à Sputnik, l'aventurier raconte ses projets et ce qui le pousse à battre de nouveaux records.
Sputnik

L'aventurier nous accueille à l'état-major de sa prochaine expédition non loin du centre de Moscou. Ici, les murs des pièces en disent long sur sa personnalité. On y trouve à la fois des icônes russes et des tableaux qui rappellent par leur style des peintures de Rockwell Kent et de Nicolas Roerich. Plusieurs photos et certificats témoignent des dizaines d'expéditions réalisées et de records établis.

Cet homme cherche en permanence à se perfectionner. Il a fait deux ans d'études aux Beaux-Arts de Paris. Les 400 tableaux environ qu'il a peints sont largement inspirés des expéditions auxquelles il a pris part, de ses méditations sur des sujets religieux qui remplissent également les carnets qu'il publie régulièrement.

51 heures à bord d’une montgolfière: un Russe bat le record du monde
Prêtre, peintre et aventurier, Fiodor Konioukhov nous parle surtout de la troisième de ses hypostases, bien que les deux autres ne soient pas moins importantes pour lui. Ainsi portant une soutane et une croix, l'aventurier aborde énergiquement le sujet de sa prochaine circumnavigation qui promet d'être extrêmement dangereuse compte tenu que sa chaloupe se trouvera la plupart du temps dans les fameux cinquantièmes hurlants et quarantièmes rugissants, des latitudes connues par leurs vents violents.

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«Il est impossible de naviguer sur l'océan Austral sans faire face aux ouragans. L'ouragan, c'est ce qui dépasse 54 nœuds, c'est-à-dire dépasse 12 degrés [de l'échelle de Beaufort, ndlr. Il y des vents tellement forts qui pourraient détruire complètement Moscou. Ici, un vent 50-100 km à l'heure a arraché tous les arbres, donc imaginez un vent de 200 km à l'heure», confie-t-il.

Ce voyage qui commencera à Albany en Australie doit durer environ 250 jours pendant lesquels Fiodor Konioukhov ne fera pas d'escale. Pourtant, les questions de nourriture et d'eau potable ne préoccupent guère l'aventurier qui est déjà habitué à manger des produits lyophilisés et à utiliser un appareil de dessalement de l'eau de mer. Alimenté par des panneaux solaires, ce dernier est capable de produire près de 30 litres d'eau potable par heure tandis que d'habitude on ne consomme qu'environ deux litres par jour.

Le plus important est de planifier son projet de telle manière qu'il ne dure pas plus de temps que prévu ou, ce qui est encore mieux encore, de le terminer à l'avance. Pour cela, il est nécessaire tout d'abord d'avoir de bonnes prévisions météorologiques et de bien connaître les courants marins. Ainsi, comme l'explique l'aventurier, la date du départ est choisie en fonction de la direction des vents. Une fois le vent arrière pris, il est possible de partir. Par exemple, son passage en solitaire à travers l'océan Pacifique a commencé le 22 décembre 2013 et a fini le 31 mai 2014, juste avant que le vent ne change, сe qui lui a permis de faire tout le trajet en 160 jours et d'établir un nouveau record.

«Il est préférable de partir en octobre. J'ai passé le cap Horn cinq fois: quatre fois en solitaire, une fois avec mon équipe. La première fois, j'étais parti un 28 octobre. Donc, je suppose que je partirai début novembre. La chaloupe sera prête fin octobre et je devrai pouvoir partir vers le 10», explique-t-il.

Au sommet de l'Everest

Compte tenu des caractéristiques techniques de sa nouvelle chaloupe que les ingénieurs britanniques sont en train de construire, Fiodor Konioukhov envisage de faire chaque jour 110 km (60 milles marins) pour ainsi parcourir à peu près 27.000 km en environ 250 jours. Pour cela, il doit ramer chaque jour 15 ou 17 heures, c'est-à-dire faire quotidiennement près de 24.000 mouvements d'avirons!

Parlant du cap Horn, l'aventurier rappelle sa rivalité avec Jean-Louis Étienne pour le titre de premier homme à avoir été aux cinq pôles de notre planète: les pôles Nord et Sud, le pôle nord de l'inaccessibilité dans l'océan Arctique, le mont Everest, le point le plus haut du monde, et le cap Horn, le pôle marin. Selon lui, c'était «une époque dynamique». Après que l'explorateur japonais Naomi Uemura a été le premier à atteindre en solitaire le pôle Nord, il s'agissait de savoir qui serait le premier à atteindre les autres pôles. Avec la mort de Naomi Uemura sur les pentes du Denali, Jean-Louis Étienne était toujours devant Fiodor Koniukhov, il lui restait seulement à vaincre l'Everest, mais des intempéries l'en ont empêché et Fiodor Konioukhov a remporté le titre en gravissant l'Everest en janvier 1996.

La prochaine circumnavigation sur les eaux de l'océan Austral est loin d'être la dernière expédition que l'aventurier rêve d'accomplir. Son âge de 67 ans ne l'empêche pas d'avoir des projets plus audacieux encore. Tout d'abord, l'espace. Cet été, Fiodor Konioukhov s'apprête à établir le record d'altitude en montgolfière en s'élevant à 25.000 mètres. Ce vol stratosphérique qui lui permettra de voir la Terre depuis l'espace est un rêve d'enfance.

«Quand, en 1961, Youri Gagarine a volé dans l'espace, j'avais dix ans et j'étais à l'école. Nous étions alors très heureux et voulions tous devenir cosmonaute. Pourtant, je ne l'ai pas été et j'ai des remords, je me demande si je peux quitter ce monde sans avoir vu la courbure de la Terre. Bien sûr, ce vol dans la stratosphère comprend un record et des recherches scientifiques, mais ce n'est pas cela qui est important. Récemment, j'ai demandé à Valentina Terechkova [la première femme à avoir effectué un vol dans l'espace, ndrl.] si je pourrais voir la courbure de la Terre. Et elle m'a répondu: oui, tu verras le ciel noir et la Terre qui s'arrondit. C'est pour cela que je volerai! Pour voir la courbure de la Terre, pour voir mon petit espace», raconte l'aventurier.

Un dessin au crayon de Fiodor Konioukhov

Un autre rêve de Fiodor Konioukhov est de descendre dans la Fosse des Mariannes. Si l'espace est déjà relativement bien exploré, seuls trois hommes ont exploré le lieu le plus profond de la Terre: Jacques Piccard et Don Walsh en 1960 dans leur bathyscaphe Trieste et le célèbre cinéaste James Cameron en 2012 dans l'appareil Deepsea Challenger. Selon l'aventurier russe, l'idée de découvrir la Fosse des Mariannes «l'empêche de dormir la nuit». Il n'exclut pas de réaliser cette expédition dans les années à venir.

À la question de savoir où il puise l'énergie nécessaire pour réaliser toutes ses expéditions, l'aventurier répond avec philosophie que c'est le désir d'atteindre son but qui le stimule.

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«Ce n'est pas la question de me dépasser. Il faut atteindre son but. Il y a un objectif que vous ou quelqu'un d'autre doit réaliser. Si j'inspire quelqu'un, c'est bien, mais les gens doivent eux-mêmes faire preuve d'initiative. Alors, est-ce que je peux mourir sans avoir vu la Fosse des Mariannes? Est-ce qu'il déjà temps pour moi de quitter ce monde? Non, il est trop tôt pour cela. Je verrai bientôt la courbure de la Terre et je ne m'arrêterai pas là», souligne-t-il.

Son fils cadet, Nikolaï, veut marcher dans ses pas. Encore jeune écolier, il regarde encore plus loin que son père et rêve déjà de conquérir Mars.

«Il y a un Olympus Mons sur Mars, d'une altitude de presque 22.000 mètres. C'est le plus haut sommet du système solaire. Alors il me dit: papa, tu as atteint deux fois le sommet d'Everest, et moi je veux gravir l'Olympus où vole là-haut. Je ne sais pas s'il réussira ou non à le faire, mais je suis heureux qu'il en rêve», conclut Fiodor Konioukhov.

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