La Ghouta, le nouveau «siège d’Alep» des médias occidentaux

La Ghouta, l’un des derniers fiefs djihadistes de la banlieue de Damas, est de nouveau sous le feu des canons… et des projecteurs. Depuis quelques jours, tous les éléments semblent être réunis pour que l’on assiste à une nouvelle campagne médiatique, comparable à la couverture de la reprise des quartiers d’Alep-Est par l’armée syrienne. Analyse.
Sputnik

«À mon sens le pire est devant nous et, que, s'il n'y a pas d'éléments nouveaux nous allons vers un cataclysme humanitaire».

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«Cataclysme humanitaire», l'expression est lâchée et elle fait les choux gras de la presse française ce 21 février, il faut dire qu'elle a été prononcée par le ministre des Affaires étrangères en personne. Jean-Yves le Drian était en effet interpellé la veille à l'Assemblée nationale par la députée LREM Monica Michel sur la situation «extrêmement dramatique» des populations civiles dans une Syrie en proie à la «déstabilisation». La députée évoquait notamment l'intervention de l'armée turque autour du canton d'Afrine, où elle aurait éliminé en un mois, selon ses dires, 1.715 «terroristes» (combattants kurdes et djihadistes confondus). Un drame qui s'ajoute à celui de la population d'une autre zone, celle de la Ghouta orientale, soumise quant à elle au feu de Damas.

C'est sur cette dernière que le chef de la diplomatie française concentrera sa réponse, annonçant ses déplacements prochains à Moscou et Téhéran, rappelant l'appel de la France à une «trêve humanitaire» et le rétablissement des négociations de Genève, tout en soulignant un «processus politique bloqué» et «l'échec de l'initiative russe à Sotchi.»

Depuis ces déclarations, une surenchère macabre s'est emparée de la presse française, 100, 250, 300, tel est le décompte des civils qui auraient été tués dans les bombardements de la poche «rebelle» de la Ghouta Orientale depuis dimanche dernier. Des chiffres communiqués par l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH, basé à Londres), qui côtoient les témoignages de secouristes ou médecins, les tweets et vidéos de Casques Blancs en pleurs tenant des enfants morts, évoquant des hôpitaux qui auraient été ciblés par des frappes russes et syriennes.

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La comparaison entre Alep-Est et la Goutha orientale vient aussitôt sous la plume de nos confrères. Et de fait, sur le terrain les deux zones de combat présentent certaines similitudes: une poche de résistance au gouvernement syrien, présentée comme «rebelle», mais essentiellement composée d'éléments djihadistes radicaux? Une offensive gouvernementale qui met à mal les positions des djihadistes, au grand dam des chancelleries et des médias occidentaux, tous très remontés contre le «régime» de Bachar el-Assad.

Mais au-delà de l'horreur indéniable des combats, ne sommes-nous pas en présence des mêmes éléments de langage qui avaient fait le succès de l'offensive médiatique contre Damas et Moscou, fin 2016 lors de la reprise des quartiers d'Alep-Est par l'armée syrienne?

Des éléments de langage que l'on retrouve déjà dans l'invitation d'un groupe d'étude à venir rencontrer au Palais Bourbon le vice-président des Casques blancs, le 13 février dernier: «Éviter un nouvel Alep ailleurs en Syrie».

«Ce n'est pas une guerre, c'est un massacre» titrait hier après-midi The Guardian, illustrant son article d'une vidéo tournée par les fameux Casques Blancs: dès les premières lignes, on comprend que l'article ne fera guère preuve d'objectivité dans le traitement de cette actualité tragique. Il ne sera par exemple pas fait mention des Damascènes tués par des tirs de roquettes djihadistes, pas plus que des bavures de l'armée américaine ou de ses raids contre les troupes loyalistes.

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Dans une guerre où le téléspectateur se perd dans un mille-feuille d'alliances, un seul camp bénéficie d'un quasi-monopole de la souffrance médiatisée. Une victimisation morbide qui tend à encourager la mise en scène de séquences particulièrement tragiques et de drames humains à destination du citoyen occidental. D'ailleurs, comme dans le cas d'Alep, un parallèle avec Srebrenica est dressé dans cet article du Guardian. Un comparatif que reprend à la volée le journal Le Monde.

Il faut dire que le recours au terme de «crise humanitaire» dans les médias rime souvent avec appel à l'intervention militaire pour abattre le coupable. La France, qui a inventé le concept de «droit d'ingérence humanitaire», le justifie en expliquant que la vie d'un individu a alors le même poids que celui d'un État.

Dès lors, les crises humanitaires se transforment en étendard pour justifier une intervention militaire- une opération de «regime change»- comme ce fut le cas en Bosnie ou plus récemment en Libye. Ainsi, dans une lettre adressée directement par quatre habitants de la Ghouta à Emmanuel Macron, ceux-ci appellent le Président à «intervenir à tous les niveaux pour sauver ce qu'il reste des civils» et «imposer une trêve humanitaire, ouvrir des couloirs humanitaires permanents […] interdire le vol des avions bombardiers».

Un message visiblement entendu par le Président, qui n'en a d'ailleurs sans doute pas eu besoin pour trouver les coupables à châtier.

Un journaliste français vivant à Damas raconte son quotidien sous les bombes
Deux semaines auparavant, le 23 janvier, à Paris, Rex Tillerson, le Secrétaire d'État américain, se montrait particulièrement critique à l'encontre de la Russie. «Quel que soit l'auteur des attaques, la Russie», en tant qu'allié du régime syrien de Bachar al-Assad, «porte, en dernier ressort, la responsabilité pour les victimes de la Ghouta orientale», relatait l'AFP.

Une rencontre à Paris qui faisait suite à une autre, cette fois-ci à Washington, sur laquelle était revenu à notre micro le géopolitologue et journaliste Richard Labévière. S'appuyant sur un télégramme diplomatique confidentiel de l'ambassade britannique à Washington, le géoplitologue soulignait que lors ces réunions consacrées à la Syrie, l'offensive médiatique tenait toute sa place

«Durant ces deux réunions, sur lesquelles quelques informations ont filtré, il a été décidé par David Satterfield, le secrétaire d'État adjoint américain chargé du Proche et Moyen-Orient qu'il s'agissait de poursuivre une campagne de communication sur deux thèmes récurrents, à savoir les bombardements russes sur des cibles civiles et l'usage des bombardements chimiques, quelle que soit leur origine […] qui sensibilisent et impactent beaucoup l'opinion publique internationale.»

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